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« Comment devient-on analyste »

[ 12 septembre 2009 / 20 juillet 2010 ]

commentondevientanalysteje lis le journal des journées (de l’école de la cause freudienne, en vue de leurs journées d’automne, qui se tiendront le premier week-end de  novembre, sous le titre « comment devient-on analyste? »).  on trouve ce journal des  journées sur le site de l’ecf, là: http://www.causefreudienne.net/agenda/evenements/journal-des-journees-de-l-ecf .  ce que je vous donne ici, c’est dans le journal n° 7, mais tous valent la peine. c’est court drôle clair plein d’allant. c’est signé jacques-alain miller.

Extrait du Journal 7
Jean-Pierre Klotz : Eplucher le « on »

« Comment devient-on analyste », ce n’est pas comment untel, ou comment je, ou comment nous, ou comment chacun, le devient, c’est comment on le devient. On, pronom dit indéfini en français, suivi du singulier du verbe, malgré le sens collectif (« nous devenons ») à lui spontanément transféré. Il ne prête à la conformité (« que fait-on ? » pour dire « que nous faut-il faire ? ») que par identification.
C’est donc du « on » que se fait l’analyste, un on dépouillé de ses oripeaux, le on singulier de chacun, le on extime, le on « petit a« , le on contre lequel on se bat, qui infiltre, empêtre, et dont on ne se dépêtre jamais complètement. Mais on peut y tendre, s’y intéresser « singulièrement ». Devenir analyste, se déplacer, et éplucher le « on ».

j’ajoute que je m’y suis inscrite. ( et je songe plutôt à  « comment ne devient-on pas analyste? (après une petite vingtaine d’années d’analyse) » ça a l’air simple comme ça. pourtant.)

Ajout du 12 oct. : je viens de demander à me faire rembourser. m’y poussent diverses considérations   1/ si je ne veux pas devenir… pourquoi aller à un congrès qui va chanter les grâces du devenir… 2/ l’angoisse profonde qui m’a saisie à la lecture de certains passages du susnommé  Journal.  je suis encore bien trop sensible quand il s’agit de l’école et de  ses analystes,  pour lesquels, par certains endroits,  ma passion se mitige, ce que mon caractères, par d’autres endroits, à moins que ce ne soient les mêmes, mon caractère entier donc a du mal à supporter.

catégorie: psychanalyse| mots-clés: ,

Que nul n’entre dans le XXIe siècle s’il n’est hypomane…

[ 6 octobre 2009 / 1 avril 2010 ]

Are Mokkelbost (b-o-r-g.org), Entity 12

La communication immédiate caractérise l’époque, pour le meilleur et pour le pire. Elle a du bon : augmentation de notre puissance d’agir, liberté croissante, agilité, faculté permanente de faire salon, mise en commun des ressources intellectuelles, la vie quotidienne vécue à plusieurs… enfer ou paradis… […]

Le pire ? Pas de doute, c’est une tyrannie. La contemplation, la méditation, la mélancolie, l’acédie, la dépression, l’otium, le loisir, la lenteur, les langueurs, le flâner, le musarder, le baguenauder, le glander, non pas seulement le dimanche de la vie de la triade sacrée Hegel-Kojève-Queneau, mais même le sacro-saint Week-end franchouillard, et, par dessus le marché, « les sanglots longs des violons de l’automne… » – toutes ces institutions augustes de la pensée, et de la sensibilité fléchissent sous les assauts incessants du signifiant toujours dispo. Que nul n’entre dans le XXIe siècle s’il n’est hypomane…

L’appareil dit nomade, ou portable, si serviable, corvéable à merci, jamais un mot plus haut que l’autre, a fait son nid dans notre cervelle, il y a pondu ses oeufs, il y est désormais accroché comme une tique à la peau d’un chien. Alléluia ! un nouvel organe nous est poussé, Notre cher et vieux In-der-Welt-sein s’en trouve chaviré de façon irréversible. Quelque chose du rapport du Dasein à l’espace et au temps, resté intouché depuis l’origine, a été pollué, qu’aucune écologie ne nous rendra pur. Des constantes anthropologiques parmi les plus assurées, ont désormais la danse de Saint-Guy.

Le monde de la longue durée n’a pas disparu, non. Il n’est pas englouti comme l’Atlantide, non. Il est toujours là, oui. Il survit, il vivote, il papote, il tremblote, il est passé au rang de patrimoine. Il fait l’objet de tendres nostalgies, il est le ressort de résistances féroces, mais tout le monde sent bien que c’est une cause perdue, comme la monarchie héréditaire et l’Algérie française. Tout doucement, il sort de l’actualité, il s’efface, fade away… Bientôt, demain, tout à l’heure, il sera hors service, honoré, muséifié. Tel le Roi d’Egypte, c’est « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui » qui triomphe au son des trompettes d’Aîda.

Rien à voir avec l’éternel présent du « Sonntag des Lebens », où l’on se prélassait aux frais de la princesse. Quelle princesse ? Prinzessin Geschichte, la princesse Histoire, venue à bout de course, et retirée des affaires du monde. La vieille coquette entretenait dans sa thébaïde un gigolo fourbu, Herr Geistes, qui passait son temps à siroter des apéros dans un petit caboulot, en racontant les bobards de ses hauts faits. Enfin Georg Wilhelm Friedrich Hegel vint. Il prit au sérieux le vieux cabot, et se fit son amanuensis, comme le furent pour Socrate, Samuel Johnson et Napoléon, Platon, Boswell et Las Cases. Sur une île déserte, qu’emporterais-je plus volontiers ? La Phénoménologie de l’Esprit, ou Casanova, l’Histoire de ma vie ? Plus de concepts d’un côté, de femmes de l’autre. Au fond, avec la Bible, on a les deux. Voilà pourquoi ce bouquin a tant de fans.

Notre présent à nous est parcouru des secousses instantanées. Valéry disait déjà de Bossuet : « il spécule sur l’attente qu’il crée, tandis que les modernes spéculent sur la surprise ». L’instant impensable, impalpable, et informe, ne règne, ni ne triomphe, car, pour ça, il faudrait encore qu’il durât. Il fulgure. Il n’a pas plus de réalité dans le temps que le point dans l’espace. L’instant est dématérialisé, et, nous qui vivons au rythme du signal instantanée, il nous dématérialise à sa suite. La séance avec Lacan, telle que je l’imagine, n’était pas « courte », elle était instantanée, dématérialisante.

Ah ! mais… voilà pourquoi ce grand appétit de « Journées », de raouts, de fêtes – de rencontres, dit Z* : apporter son corps, trouver des corps…

Jacques-Alain MillerExtrait du Journal des Journées n°32 du mardi 6 octobre