Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons

les mâts,
invitant les orages

« Un ennui, désolé par les cruel espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-il de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdu, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…
Mais, ô mon cœur, entends le  chant des matelots!»

Mallarmé, « Brise marine» ( In Le Gaucho insupportable, qu’en ce moment je lis, offert par grand G, mon ami, mon amour, pour Noël, p. 150.)

… de leur fatalité jamais ils ne s’écartent

« Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !»

Baudelaire, « Le voyage» ( Ibid. p. 156, dans le chapitre intitulé « Littérature + Maladie = Maladie»)

une
oasis d’horreur
dans un désert d’ennui

« Amer savoir, celui qu’on tire du voyage!
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui!

Et avec ces vers, en vérité, nous avons plus qu’il ne nous en faut. Au milieu d’un désert d’ennui, une oasis d’horreur. Il n’y a pas de diagnostic plus limpide pour exprimer la maladie de l’homme moderne. Pour sortir de l’ennui, pour échapper à ce point mort, la seule chose que nous ayons à notre portée, et même pas si facilement à notre portée que cela, il faut fournir des efforts pour cela aussi, c’est l’horreur, c’est-à-dire le mal. Ou nous vivons comme des zombis, comme des esclaves nourris d’un quignon de pain, ou nous nous convertissons en esclavagistes, en êtres malins, comme ce type qui, après avoir assassiné sa femme et ses trois enfants, dit, en transpirant à  grosses gouttes, qu’il se sentait bizarre, comme possédé par quelque chose d’inconnu, la liberté, pour affirmer ensuite que les victimes avaient mérité leur sort, bien qu’au bout de quelques heures, moins exalté, il finît par dire que personne ne méritait une mort aussi cruelle, avant d’ajouter qu’il était probablement devenu fou et de demander au policiers de ne pas faire attention à ce qu’il disait. Une oasis est toujours une oasis, surtout si on sort d’un désert d’ennui.

… Rimbaud, qui plonge avec la même dévorante énergie dans les livres, le sexe et les voyages, uniquement pour découvrir et comprendre, avec une lucidité diamantine, qu’écrire n’a pas la moindre importance ( écrire, évidemment, est la même chose que lire, et à certains moments ressemble assez à voyager, et même, en certaines occasions privilégiées, ressemble aussi à l’acte de baiser, et tout cela, nous dit Rimbaud, est un mirage, le désert seul existe et de temps à autre les lumières lointaines des oasis qui nous avilissent). »

Ibid., pp. 157, 158 et 162

même l’ignorance ne peut rien contre cela qui nous environne. tu pleurais hier soir. petit. viens encore. pleure. petit. dis. la maladie aussi nous attend. il faudra du courage, encore dire oui. nous ne sommes responsables que de nous-mêmes, c’est ce que je crois. la lumière est dedans. la lumière est dehors.


vouloir ce qui est proche, vouloir ce qui vous arrive, même qui vous arrive à l’improviste, et vous fait mal

« La joie est l’affect spinoziste du rapport au réel, l’affect auquel on peut atteindre lorsqu’on ne croit plus aux caprices du sort, mais lorsqu’on s’égale à lui, que l’on s’accorde avec lui, sur un mode qui est proche de l’éternel retour de Nietzsche : vouloir ce qui est proche, vouloir ce qui vous arrive, même qui vous arrive à l’improviste, et vous fait mal.» Jacques-Alain Miller, « Les us du laps », 26 janvier 2000.


6 Jan 2009 @ 13:39 | | 13 commentaires | catégorie: jacques-alain miller, Roberto Bolano | mots-clés: , , , , ,