le vide-médian

La Voie qui peut s’énoncer

N’est pas la Voie pour toujours

Le nom qui peut se nommer

N’est pas le nom pour toujours

Sans nom : Ciel-et-Terre en procède

Le nom : Mère-de-toutes-choses

La Voie/voix, en tant qu’elle est avant tout nomination puis l’effet de nomination, qui fait venir quelque chose, mais quoi ?, car c’est là où ça n’est pas grec : il ne s’agit plus de faire venir à l’être, mais à un certain usage. Le chinois n’est pas une langue indo-européenne, il ne connaît pas le verbe être, à la place de la copule il y a cette invention propre au chinois qui est que le mot Tao veut dire tout à la fois faire et dire, énoncer.

Fini le faire, reste le nom. Fini le tour de main, reste le Witz.

L’impossibilité du fer,

génie de l’impuissance

« Ainsi, le readymade est de l’art à propos de la peinture avant d’être de l’art à propos de l’art. L’art de peindre, c’est l’art du faire, dit Duchamp, qui répète là une très vieille définition de l’art comme artisanat et habilité manuelle. Mais si l’industrialisation a rendu objectivement inutile l’artisanat, alors l’habilité manuelle est aussi ce que l’artiste sensible à l’époque doit ressentir comme impossible. Ce sentiment est, dans la peinture, même normale, sa « nécessité intérieure », la nécessité qui poussa Kandinsky et les autres pionniers de l’abstraction à abandonner presque toutes les conventions traditionnelle de la peinture, et qui poussa Duchamp à l’abandon du métier lui-même.

Fini le faire, reste le nom. Fini le tour de main, l’habilité, le talent, reste le génie, le Witz. A Denis de Rougemont qui lui demande « Qu’est-ce que le génie? », Duchamp répondit par un calembour : « L’impossibilité du fer« .

Puisque faire signifie choisir, le syllogisme de tout à l’heure conduit à la conclusion, cette fois, que le génie tient à l’impossibilité de choisir. Et puisque l’exemple exemplaire d’un tel choix impossible est un tube de bleu, un tube de rouge, il faudrait imaginer que le génie tient à l’impossibilité de choisir ses couleurs, d’ouvrir un tube, de commencer son tableau, de peindre. Génie de l’impuissance en lieu et place de l’impuissance du talent ! »

Thierry de Duve, Résonnances du readymade, « Le readymade et le tube de couleur » (1984-1989), Éditions Jacqueline Chambon, 1989, p. 127, 128, 129, 130

« Voilà donc, dans le concret, où se situe le vide. Comment articuler le vide, c’est ce qui intéressait Lacan. L’usage correct du vide, de ce Vide-médian qui est une sorte de version du littoral, soit ce qui sépare deux choses qui n’ont entre elles aucun moyen de tenir ensemble, ni aucun moyen de passer de l’une à l’autre. » E.L.

Fer
— (déjà)

Il s’agira également de rapprocher cet usage et son « déjà » de Lagandré, du readymade de Duchamp. Pour Duchamp, la chose est déjà faite, la peinture est déjà en tube, elle n’est plus à faire. Et qu’elle ne soit plus à faire est ce qui rend l’artiste impuissant. Lui rend  impossible d’encore faire de l’art. Puisqu’il est fait. Puisque les machines l’ont déjà fait.

Les choses ne sont plus à faire. L’industrie s’en occupe.

Il n’y a plus rien à faire. Il y a bien des travailleurs spécialisés, encore, des ouvriers. Mais ils ne font que ce qu’ils font, dans le cadre de leur travail, et en dehors de leur travail ils consomment également des objets qui leur arrive tout-faits. Déjà faits.

Alors, ce n’est donc pas seulement le parler qui s’est perdu, mais le faire, tout court.1  D’où, le jeu de mots de Duchamp sur « L’impossibilité du fer ». Le fer est fait et n’est plus à faire. D’abord il s’est agi du chemin de fer, des tours Eiffel en fer. Maintenant, il y a l’homme de fer. Entre-temps, bien sûr, il y a eu la dame de fer. Et moi.

 

 

Notes:
  1. A ce stade on peut d’ailleurs se demander si le parler n’a pas été perdu de ce que le faire l’était. []
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