L’action du sujet dans le fort/da est exemplaire. En nommant le vide créé par l’absence de la mère à l’aide de l’alternance présence/absence de la bobine, le sujet la détruit comme objet, mais il constitue cette action même comme objet en la répétant. Le sujet « élève son désir à une puissance seconde (…) Le symbole se manifeste d’abord comme meurtre de la Chose, et cette mort constitue dans le sujet l’éternisation de son désir. »15 Le fort/da n’est plus seulement scansion, mais véritable fondement de l’édifice subjectif du désir. La mélancolie, sacrifice suicide, s’identifie à cette mort du sujet qui se nomme dans le même temps où il s’éternise. Par là, le sujet se fait pur sujet de l’éternité du désir. La mélancolie ne se situe plus à partir du narcissisme, mais à partir des effets du parasite langagier. Plus exactement, le sacrifice narcissique est subordonné au sacrifice symbolique.
Éric Laurent, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », Ornicar? 47, p.11. La citation est de Jacques Lacan dans les Ecrits, p. 319.
On trouvera là les principaux extraits de l’article d’Eric Laurent, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale » ( Ornicar? 47, 1988) qui m’ont paru porteurs d’une vérité ultime et néanmoins insaisissable. Il en est de ce texte finalement comme de ceux de Catherine Millot : détenteur d’une vérité agalmatique qui me convoque au travail, mais à un travail que je ne parviens fondamentalement pas à faire.
(Pas à faire, peut-être de toute éternité, de tout temps, de moins en moins. De toute éternité = depuis l’enfance, depuis l’école, depuis les bancs de l’école : si ça se trouve. Un travail, une tâche, qui m’échappe depuis les bancs de l’école. )
Cette vérité, n’y aurait-il à accepter qu’elle soit tel un diamant qui ne s’aperçoit que le temps d’un instant, qui éclaire tout, et dont rien ne se préserve l’instant d’après. Dont on est alors seulement requis de transmettre ce qui s’en serait, quelque part en soi, et d’une façon inaperçue, marqué. Le reliquat.
Requis ou pas. Ou pas requis.
Car s’agit-il de s’approprier ? Car s’agit-il d’un savoir dont on puisse être propriétaire ? Faut-il à tout prix qu’il soit vérifiable ? Ne se pourrait-il qu’il vous travaille sans que vous en sachiez rien ? Et s’il y eut un instant de certitude, quoi d’autre sinon baisser les yeux, recueillir en soi des échos du silence, supporter de n’en rien retenir : puisque retenir quoi que ce soit signifierait : c’est raté.
Et faut-il que je remercie le ciel de n’avoir pas le pouvoir de retenir, de m’approprier les mots des autres. Quels mots des autres? Ne puis-je, être celle qui raconte à mon tour? Toujours, est-ce au silence que. Et ta mère ? Y eut-il d’autre lieu que son silence ? N’est-ce l’ordre des choses ? Les uns parlent, les autres. Mais de quand parles-tu ? N’es-tu revenue des tablées familiales ? Et ce silence maternel dont tu t’enrobais toute, que ne donnerais-tu aujourd’hui pour le retrouver?
Aurais-je aimé parler de mes lectures? Faire montre de ? Etre comme mon père, comme mon frère?
Quelque chose dans ce texte de Laurent s’offre se dérobant. Je ne sais si c’est parce qu’il me dit quelque chose qu’il n’est pas de mon pouvoir d’entendre, parce qu’il me convoque à le comprendre par moi-même, à m’en approprier l’intelligence ou parce que le saisir me donnerait les armes pour combattre en moi ce qui se défend de l’être. Suis une fois encore non-claire?
Ce texte ne detînt-il encore rien de plus que rien que sa dérobade à elle seule semble suffire à me sidérer.
Tant de termes ici brûlants : sacrifice, suicide, meurtre, mort. Les mots de l’Autre scène.
Pas nécessairement de quoi papoter entre l’entrée et le plat principal.
Je n’ai rapporté dans le blog que ce qui concerne les jeux du fort-da de l’enfant et la question de la lâcheté morale vs le rejet de l’inconscient.
L’énigme pour moi se situe dans les jeux de l’enfant, et le lien qu’y tire Lacan entre ces jeux et un dit sacrifice primitif…
Jusqu’il y a peu, j’avais interprété cette façon chez moi de comprendre quelque chose sans arriver à le restituer, du côté de l’hystérie, comme une façon de faire exister le savoir en le maintenant dans l’Autre.
Aujourd’hui, je me demande si je peux le dire autrement.
Cela dit, indépendamment du fait qu’il m’échappe, ce dont j’attends de ce texte c’est qu’il modifie mon rapport à la mort. Que je puisse en comprendre quelque chose. Sans que ce ne soit absolument nécessaire, en fait. Et il y a le pari que des choses se comprennent sans qu’on n’en sache grand chose.