Mois : octobre 2010
De la rigueur de la science
En cet Empire, l’Art de la Cartographie fut poussé à une telle Perfection que la Carte d’une seule Province occupait toute une Ville et la Carte de l’Empire toute une Province. Avec le temps, ces Cartes Démesurées cessèrent de donner satisfaction et les Collèges de Cartographes levèrent une Carte de l’Empire, qui avait le Format de l’Empire et qui coïncidait avec lui, point par point. Moins passionnées pour l’Étude de la Cartographie, les Générations Suivantes réfléchirent que cette Carte Dilatée était inutile et, non sans impiété, elles l’abandonnèrent à l’Inclémence du Soleil et des Hivers. Dans les Déserts de l’Ouest, subsistent des Ruines très abîmées de la Carte. Des Animaux et des Mendiants les habitent. Dans tout le Pays, il n’y a plus d’autre trace des Disciplines Géographiques.
Suarez Miranda, Viajes de Varones Prudentes,
Lib. IV, Cap. XIV, Lerida, 1658
Borges J.-L., 1994, (première édition française, 1951), Histoire universelle de l’infamie/Histoire de l’éternité, Paris, Union générale d’éditions, collection 10/18. page 107. Le texte s’intitule « De la rigueur de la science ».
source : http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/frdtse/frdtse41g.html
l’écriture est sa doublure alors qu’elle devrait être son manteau
La vie de Sachs est en effet modelée par des traits de genre qui forment un système : la vie comme un texte, un palimpseste cousu de figures lisibles à qui sait les lire.
…
Première des figures de son existence rhétorique, le paradoxe de cet homme qui vénère la chose écrite est son incapacité à produire un texte en vue de le montrer. Impossible à rendre publique, l’écriture est sa doublure alors qu’elle devrait être son manteau.
Maurice Sachs le désoeuvré, Thomas Clerc, pp. 20-21
écrire le journal de judas
Contrairement au tricheur qui jouit d’une petite supériorité d’un quart d’heure sur les autres et ne fait que justifier l’ordre auquel il s’adosse, le traître, lui, est une figure d’artiste, il est fondateur de péripéties. Gilles Deleuze a réglé trop vite « le cas pathétique de Maurice Sachs » sans voir que voleur, escroc, artiste ou faussaire ornaient son tissu de nuances multicolores.
[…]
Que fut la trahison pour lui, sinon l’autre visage, suprême et dégradé, de la Littérature? Sa propension à décevoir les autres ne prit fin que lorsqu’il s’enferma dans la fiction, déclarant forfait comme on retourne une carte. Un écrivain authentique aussi est un traître, traître au monde, à sa classe, traître aux choses qu’il remplace par leur ombre verbale, traitre au jeu de la respectabilité et des pouvoirs. « Peut-être écrirai-je un jour un journal de Judas ».
Maurice Sachs le désoeuvré, Thomas Clerc, p. 30 et 31
(cela dit cette traîtrise tient tout autant à la parole, au symbolique en général. il y a un lien cependant, particulier, du livre à ce qui livre, à la trahison, à celui qui livre, au judas. nous souffrons plus de cette trahison que nous n’en sommes conscients. faire œuvre de sa trahison, œuvre, livre de Judas : et livrer, mais délivrer aussi bien, alors la jouissance récupérée de la lettre. puisque c’est le réel qui est trahi. ou choisir de ne pas livrer, livrer le livre, ne pas en rajouter encore à la trahison native, et, dans le cas de Sachs, éventuellement, garder le livre propre de cette tache, laquelle alors le déborde dans sa vie, de toutes parts, être juif, devenir nazi, dénoncer la trahison du symbolique de par sa vie-même, l’incarner. cette impossible faute du livre. sur soi prendre la faute du livre, le sauver. )
moi aussi, moi non plus
Contrairement à la loi qui veut que le meilleur livre soit celui qu’on est en train d’écrire, le texte au présent le déçoit. Sachs estime qu’il sera bon au futur antérieur. En effet, il sera bon une fois mort.
Maurice Sachs le désoeuvré, Thomas Clerc, p. 36.
Son obsession pour la valeur – Suis-je bon? Suis-je mauvais?…
Ibid., p. 37.
oxymore
De toutes les figures, l’oxymore, qui émaille ses phrases – « on ne trahit bien que ceux qu’on aime », « j’aime les livres : ils intoxiquent », « les oisifs n’ont pas une minute à eux » – est la plus visible, organisant une existence qui forme l’oxymore parfait : solidaire mondain, homosexuel marié, juif gestapiste, artiste d’affaires, prêtre athée, vedette paria, escroc idéaliste, toutes ces clartés obscures éclatent comme des étoiles.
Maurice Sachs le désoeuvré, Thomas Clerc, p. 44
l’artiste-escroc
Dans tout artiste il y a un escroc : « Les poètes, dit Nietzche, n’ont pas de pudeur à l’égard de leurs sentiments : il les exploitent. » Et si Sachs, en se mettant à leur remorque, était l’escroc intérieur de tout artiste, la doublure noire de l’Ecrivain? Tel Peter Schlemihl, lui-même n’a pas d’ombre puisqu’il est celle des autres. Aussi se fait-il doubler, perdant sur les deux tableaux. Aux yeux des vrais créateurs, il n’existe pas, dominé par ses intrigues; pour les snobs de son temps, il est méprisable, n’étant pas connu.
Maurice Sachs le désoeuvré, Thomas Clerc, p.52
je sors d’un rêve si long si bon
Sors d’un rêve si long, comment l’écrire, si long si bon. Tout à l’heure psychanalyste, on est lundi, cette envie de lui donner une toile de mon père, apparue claire au sortir du rêve. Cette question aussi : pourquoi l’inconscient me ferait-il pareil « cadeau » – ce tableau d’une boucle bouclée, d’un parcours de mon analyse. cadeau.tableau.o.o.ca.ta.
Comment écrire, par quoi commencer. Comment ne pas oublier.
D’abord la dernière image/cène (nous sommes plusieurs assis à longue table) : assise à côté du propriétaire du lieu, châtelain, lui dis « Oh! regardez comme c’est beau chaque fenêtre, on dirait une peinture différente » (hier expo photo) – grands paysages, très verts (comme les haricots, petits pois surgelés de la veille).
Avant ça, F venu me chercher. Avais passé la nuit dehors, avec Jules aussi, dans ce château, qui n’avait pas été pas tout de suite un château mais l’est devenu, en cours de route.
Passé la nuit là, à perdre mon sac, un paquet de feuilles, un classeur. 3 choses, 3 objets. Jules aussi perd ses affaires. Les cherchons. C’est ce qui nous a empêché de partir, les cherchons, les retrouvons, les reperdons. Ou, je perds Jules. Jules.chose.
J’arrive là parce que je sors de chez mes parents, parce que je cherche un parodontologue, parce que j’ai une maladie des gencives, mon … (mot manque), ma couronne a sauté, je risque quelque chose de très grave, je veux aller chez le parodonto ou le dentiste mais je m’aperçois en sortant de chez mes parents, qu’au lieu de me diriger vers chez lui, je me dirige vers l’appartement de Dimitri (qui était d’ailleurs déjà là avant ça dans le rêve). Je me rends compte que je ne sais pas du tout où il habite.
Bon, faut que j’y aille.