Hamlet dans L’interprétation des rêves de S. Freud

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Extrait de L’Interprétation des rêves de Sigmund Freud (PUF)

« Le rêve de la mort de personnes chères »

Une autre de nos grandes œuvres tragiques, Hamlet de Shakespeare, a les mêmes racines qu’Œdipe-Roi. Mais la mise en œuvre tout autre d’une matière identique montre quelles différences il y a dans la vie intellectuelle de ces deux époques et quel progrès le refoulement a fait dans la vie affective de l’humanité. Dans Œdipe, les fantasmes-désirs sous-jacents de l’enfant sont mis à jour et sont réalisés comme dans le rêve; dans Hamlet, ils restent refoulés, et nous n’apprenons leur existence – tout comme dans les névroses – que par l’effet d’inhibition qu’ils déclenchent. Fait singulier, tandis que ce drame a toujours exercé une action considérable, on n’a jamais pu voir clair quant au caractère de son héros. La pièce est fondée sur les hésitations d’Hamlet à accomplir la vengeance dont il est chargé; le texte ne dit pas quelles sont les raisons ou les motifs de ces hésitations; les multiples essais d’interprétations n’ont pu les découvrir. Selon Gœthe, et c’est maintenant encore la conception dominante, Hamlet représen­terait l’homme dont le pouvoir d’agir directement est paralysé par un développement excessif de la pensée (« il se ressent de la pâleur de la pensée »). Selon d’autres, le poète aurait voulu représenter un caractère maladif, irréso­lu et neurasthénique. Mais nous voyons dans le thème de la pièce qu’Hamlet ne doit nullement nous apparaître incapable d’agir. Il agit par deux fois: d’abord dans un mouvement de passion violente, quand il tue l’homme qui écoute derrière la tapisserie; ensuite d’une manière réfléchie même astucieuse, quand, avec l’indifférence totale d’un prince de la Renaissance, il livre les deux courtisans à la mort qu’on lui avait destinée. Qu’est-ce donc qui l’empêche d’accomplir la tâche que lui a donnée le fantôme de son père? Il faut bien convenir que c’est la nature de cette tâche. Hamlet peut agir, mais il ne saurait se venger d’un homme qui a écarté son père et pris la place de celui-ci auprès de sa mère, d’un homme qui a réalisé les désirs refoulés de son enfance. L’horreur qui devrait le pousser à la vengeance est remplacée par des remords, des scrupules de conscience, il lui semble qu’à y regarder de près il n’est pas meilleur que le pécheur qu’il veut punir. Je viens de traduire en termes conscients ce qui doit demeurer inconscient dans l’âme du héros; si l’on dit après cela qu’Hamlet était hystérique, ce ne sera qu’une des conséquences de mon interprétation. L’aversion pour la sexualité, que trahissent les conversations avec Ophélie, concorde avec ce symptôme. Cette aversion qui devait grandir toujours davantage chez le poète, dans les années qui vinrent, jusqu’à atteindre son point culminant dans Timon d’Athènes. Le poète ne peut avoir exprimé dans Hamlet que ses propres sentiments. Georges Brandes indique dans son Shakespeare (1896) que ce drame fut écrit aussitôt après la mort du père de Shakespeare (1601), donc en plein deuil, et nous pouvons admettre qu’à ce moment les impressions d’enfance qui se rapportaient à son père étaient particulièrement vives. On sait d’ailleurs que le fils de Shakespeare, mort de bonne heure, s’appelait Hamnet (même nom qu’Hamlet).

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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