cette peine que l’on me vole

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je relis ce texte, qui m’avait tellement énervée hier, et me trouve n’avoir finalement pas grand chose à y redire… pas grand chose, si ce n’est que je ne suis pas française, que le concept de France me passe un peu par-dessus la tête et que je crains que cette remarque sur le Un de l’islam ainsi que cette mention des 3 chevaliers de l’apocalypse, ne participent du discours qui cherche à stigmatiser des populations musulmanes qui le sont déjà suffisamment, quand c’est à elles, que moi je pense aujourd’hui (chacun son histoire, son nom, son trauma). et puis, toujours, chez Milller, ce désir d’aller trouver à l’intérieur de la religion islamique ce qui la prédisposerait au terrorisme, d’inscrire ce drame à l’intérieur d’une guerre de religion ou  d’un choc de civilisation!

Aujourd’hui, même des intellectuels antiracistes se demandent : est-ce qu’il n’y a pas quelque chose dans l’islam qui mène à ce genre de massacres ? Jusqu’ici, cette interrogation était réservée à certains pôles idéologiques : les populistes anti-immigration, la droite identitaire anti-islam et même une frange de la laïcité militante. Maintenant, cette idée est devenue un cliché et ce genre de parole s’est libéré, notamment depuis le débat sur l’identité nationale lancé par Sarkozy.

http://www.mediapart.fr/journal/france/110115/olivier-roy-la-communaute-musulmane-nexiste-pas?page_article=2

concernant la marche des charlies, le million et demi de charlies sur paris, j’avais cru pouvoir attribuer leur nombre, bien plutôt qu’à la peur des « soldats de l’Absolu » ou à l’amour de la liberté, à l’appel du tweet ou du statut facebook, à sa diffusion rhizomatique instantanée, à son effet hypnotique qui laisse chacun qui l’envoie d’abord dans la jouissance de ce qui n’en n’a plus aucune et la perte de tous les inconforts de la conscience, puis dans la retrouvaille d’une communauté (bien plus que d’une unité nationale) enfin possible et sous les feux des projecteurs. (les réseaux sociaux connaissent dorénavant leur pouvoir, celui de capter l’attention des médias et de connaître, le temps d’un rassemblement, éclair de préférence, leur instant-de-gloire.)

on 7th January 2015 political assassins fixed a highly media-visible specimen of mass media.

[…]

the 7th January barbarity crowns the lengthy process of deregulation – indeed the “de-institutionalisation”, individualization and privatisation of the human condition, as well as the perception of public affairs shifting away from the management of established aggregated bodies to the sphere of individual “life politics”. And away from social to  individual responsibility.

In our media-dominated information society people employed in constructing and distributing information moved or have been moved to the centre of the scene on which the drama of human coexistence is staged and seen to be played.

 

nightcallil est vrai que je n’ai pas vite peur, enfin pas ce genre de peur là. et puis, j’étais sur les dents. je lis le Sade d’Annie Lebrun ( Soudain un bloc d’abîme, Sade ) en ce moment et je venais de voir le film Night Call (avec Jake Gyllenhaal génial) sur la saloperie des journalistes et de la télévision. il me semblait que mon émotion, au moment où mon compagnon est venu m’annoncer l’attentat de charlie hebdo, la mort de tous ces dessinateurs, m’avait été ravie dès lors que j’avais allumé la radio pour écouter les news. je me suis sentie complètement brainwashée, je ne savais plus du tout quoi penser, j’étais complètement hérissée contre tout ce que j’entendais…. pareil sur twitter. pure récupération par les politiques et les médias, récupération révoltante, effrayante. et les gens heureux de se trouver des brins d’idées sur quoi se branler ensemble, de la même façon, heureux de faire masse, foule.

j’ai donc soupçonné les Charlie des places publiques de n’être pas vraiment tristes. leur chagrin né seulement de l’émulation des réseaux sociaux, d’un désir de visibilité médiatique, assorti d’un désir de « communauté », d’unité, de rassemblement. (Et je me demandais qui j’étais pour me permettre de penser des choses pareilles et si ce n’était pas moi qui étais sans cœur, complètement insensible). ils étaient tous là, ensemble, si bons, si « innocents », et la télé et le monde les voyaient. voyaient si bien que les politiques ont tôt fait de les rejoindre dans la rue.

mon propre chagrin, ma blessure, m’avaient été ôtés, pris en otage par les discours des médias venus l’oblitérer et auxquels je n’étais pas parvenue à résister.

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L’illusion lyrique

par Jacques-Alain Miller

De Paris, ce 11 janvier 2015, matin

Qui l’eût cru ? Qui l’eût dit ? La France debout comme un seul homme, ou une seule femme. La France devenue ou redevenue une. La République, courageuse, intrépide, ayant choisi la résistance. Finis les auto-reproches ! Les Français soudain sortis de leur dépression, de leurs divisions, et même, à en croire un académicien, redevenus « les soldats de l’An II ». Les Français faisant à nouveau l’admiration du monde. Et, dodelinant de la tête, le président Hollande accueillant avec son air de premier communiant le peu d’hommes tenant dans leurs mains les destinées de la planète. Pourquoi se précipiter ainsi à Paris ? On croirait qu’ils viennent s’y ressourcer, y raviver leur pouvoir, le légitimer, le lustrer. Une planète elle-même presque unie, unanime, parcourue d’un même frisson, comme formant une seule foule, en proie à une pandémie émotionnelle sans précédent, sinon peut-être le Jour de la Victoire qui mit fin à la Première Guerre mondiale, la Libération de Paris, le 8 mai 1945.

La France, l’humanité, semblent n’être plus des abstractions, semblent prendre chair, s’incarner sous nos yeux, dans nos cœurs, dans nos corps. Nous aurons donc connu cela, « l’illusion lyrique. » Impossible de s’y retrouver sans Freud et sa Massenpsychologie, ou même sa doctrine de la cure. L’événement fait coupure ; il reconfigure le sujet, ou plutôt le fait émerger sous une forme inédite. Cependant, les Bourses, jusqu’à présent, n’ont pas bougé, à la différence du 11 septembre. Or, c’est là ce qui fait office aujourd’hui d’épreuve du réel. Tant qu’elles n’auront pas enregistré la secousse, on reste dans l’imaginaire.

Tout a été mis en mouvement par trois hommes, pas un de plus, ayant donné leur vie pour le nom du Prophète. Toutefois, pour coiffer cet enthousiasme universel, ce n’est pas son nom, mais celui de Charlie qui surgit à la place. Charlie ! Une feuille hebdomadaire qui, dès avant que sa rédaction ne soit exterminée, était déjà, faute de lecteurs, à l’agonie. Le résidu, le déchet, d’une époque de l’esprit dès longtemps surmontée. C’est là que l’on vérifie ce qu’enseigne la psychanalyse, de la puissance que recèle la fonction du reste. Charlie meurt assassiné le mercredi ; le dimanche, c’est sa résurrection. Sa transformation, sa sublimation, son Aufhebung, en symbole universel. Le nouveau Christ. Ou, pour garder la mesure, le Here Comes Everybody de James Joyce.

On doit cet effet à nos trois djihadistes, ces chevaliers de l’Apocalypse, ces soldats de l’Absolu. Ils auront réussi ceci : effrayer, paniquer, une bonne partie de la planète. Comme l’écrivait hier dans un tweet cette vieille canaille de Murdoch, « Big jihadist danger looming everywhere from Philippines to Africa to Europe to US. » C’est dans le nombre que chacun va abriter sa peur et la sublimer en ardeur. Le nombre est la réponse démocratique à l’Absolu. Fait-il le poids ?

Aucune religion n’a magnifié la transcendance de l’Un, sa séparation, comme l’a fait le discours de Mahomet. Face à l’Absolu, ni le judaïsme, ni le christianisme, ne laissent seule la débilité humaine. Ils offrent au croyant la médiation, le secours, d’un peuple, d’une Eglise, tandis que l’Absolu islamique n’est pas mitigé, reste effréné. C’est le principe de sa splendeur. La certitude est de son côté, alors qu’on dispute de la définition du Juif, que les Eglises protestantes se chamaillent, que le Vatican même est atteint, aux dires du pape d’un « Alzheimer spirituel. » Un autre académicien prescrit à l’Islam de se soumettre à « l’épreuve de la critique » pour gagner sa vraie grandeur. En effet, tout est là. Quand les poules auront des dents…

Lorsque l’on manifeste, comme nous allons faire dans quelques heures, on s’adresse à une puissance qu’il s’agit de fléchir. Les cortèges qui, tout à l’heure, convergeront sur la place de la Nation, ne le savent pas, mais ils se préparent à célébrer le maître de demain. Quel est-il ? « Mais voyons, me dira-t-on, nous venons encenser la République, les Lumières, les Droits de l’Homme, la liberté d’expression » etc, etc. Croyez-vous vraiment, répondrai-je, solidaires de ces « valeurs » M. Poutine, M. Viktor Orban, les Grands de ce monde ? C’est beaucoup plus simple. De valeurs ils n’en ont qu’une : l’ordre public, le maintien de l’ordre. Et là-dessus les peuples s’accordent avec eux. Le lien social, voilà le Souverain Bien. Il n’y en a pas d’autre. On honore les victimes, sans doute. Mais d’abord, et partout, on compte sur la police.

Pauvre Snowden ! Oui, nous voulons être surveillés, écoutés, fliqués, si la vie est à ce prix. Grande ruée vers la servitude volontaire. Que dis-je, volontaire ? Désirée, revendiquée, exigée. A l’horizon, le Léviathan, « Pax et Princeps. » Un moment vint à Rome, notait jadis Ronald Syme, où même les Républicains considérèrent comme un moindre mal « submission to absolute rule. » Houellebecq sur ce point n’a pas tort : la tendance aujourd’hui, contrairement aux apparences, n’est pas à la résistance, mais à la soumission.

( A paraître online sur lepoint.fr)

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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