mar. 10/04/2018 07:37

Publié le Catégorisé comme Hélène Parker Étiqueté ,

Madame, 

Je me permets de vous écrire,  parce qu’après je serai partie jusqu’au 29 avril  et que je n’arriverai peut-être pas à vous dire si clairement (si j’arrive seulement à vous l’écrire) et qu’il devient urgent que j’éclaircisse, évacue. 

Ce que je veux, c’est arriver à parler. Si j’écris, c’est pour cela, c’est cela, j’écris la perte de la parole, la déprise, c’est ce symptôme que je traque, qu’est-ce qui a fait qui fait que je ne parle que je ne rentre pas en parole que je n’aie rien à dire que je laisse la parole à l’autre. Franck Berger m’avait aidée par rapport à ça, me disant Ce qu’on ne peut dire,  il faut l’écrire. Ça m’avait rassurée (je me trouvais fautive).  Et pendant des années, j’ai cherché à écrire ce qui sépare la pensée de l’écriture, ce qui fait de la pensée une écriture à rejoindre, rejoindre ce qui ne cesse pas de s’écrire de l’écriture. Mais, aujourd’hui je vois qu’il s’agissait de chercher à l’écrire pour que ça puisse rejoindre la parole.

Aujourd’hui, je veux dire à mon fils la psychanalyse, c’est une ambition, et je veux la dire augmentée de ce que j’apprends dans le tai chi. J’ai réellement perdu mes mots pendant toutes ces années, perdu l’usage de la parole que je n’avais cependant peut-être jamais acquis. Et j’ai écrit pour les retrouver, pour endiguer  cette perte. Et j’ai écrit pour libérer la parole de l’écriture.

Mais j’ai aussi connu l’écriture comme symptôme, qui retenait la parole, qui ne la voulait qu’au livre, qui ne la destinait qu’au livre. La vie au livre, au seul livre. J’ai cru que les pensées faisait livre idéal.

Puis aussi, j’ai pensé que mon silence était féminin, et qu’il fallait trouver une forme de parole, d’écriture au féminin, qui rende compte de cette absence, cette déprise de la parole. Qu’il fallait cesser de se laisser impressionner par la parole masculine, et qu’il faudrait toujours risquer d’ouvrir la bouche au bord du vide, qu’il faudrait toujours prendre le risque du vide, qu’il faudrait toujours parler sans savoir, engager cette absence au savoir.

Je pensais que j’aurais à me battre contre ce savoir masculin, ce savoir au masculin, ce mode de savoir tout embué de mots. Et c’est là que j’ai rencontré le tai chi.

Je n’y suis pas arrivée, me semble-t-il, au risque pris du vide, à la formalisation et à la défense de ce positionnement, par rapport à la parole, même si c’est toujours là où j’en suis. A affronter des yeux légèrement agrandis d’incompréhension et de scepticisme (avec le mépris en sous-main).

À côté de cela, il y a ce pour quoi je vous avais d’abord écrit à propos du harcèlement, ce qui s’entendait à ce moment-là dans les réseaux sociaux, qui m’avait moi-même ramenée à ce qui de moi s’était alors, au sortir de l’enfance, refermé sur moi-même, refermé sur mon corps, dans une enveloppe de silence, et à cette parole entendue ou imaginée par moi, comme je sortais de chez moi, le pied dans la rue, allant vers l’école, la porte a peine claquée, qui m’avait apostrophée du haut d’une haute fenêtre dans un mur de briques, et qui disait, et répétait peut-être même : « Eh, la muette, la muette de Portici ! » et qui riait. Deux personnes sans doute.

Enfin, c’est pour tout cela que je me bats débats en ce moment, en ayant à côtoyer l’angoisse, et avec beaucoup de crainte de ne pas y arriver, de foirer. 

À mercredi, 

Jeanne Janssens

Top