DSM, industrie pharmaceutique et bipolarité

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j’ai parlé un peu vite et ne retrouve pas ce à quoi je pensais : l’invention d’un trouble par son inscription dans le DSM qui permette la mise sur le marché d’un médicament.

s’agissant de la bipolarité à tout le moins, je n’ai pas retrouvé ce que je pensais avoir retenu et je tombe sur cette interview d’un psychiatre qui a travaillé au DSM-4, avant de prendre sa retraite et qui en dit ceci :

Le « DSM-IV » a-t-il vraiment stoppé l’inflation diagnostique ?

Oui. Nous avons analysé 93 suggestions de changement et n’en avons retenu que trois. Cependant, ces modifications que nous pensions mineures ont eu des conséquences inattendues. Ainsi le trouble bipolaire de type 2, que nous avons introduit, a permis aux entreprises pharmaceutiques, grâce à la publicité télévisée en particulier (les États-Unis sont le seul pays au monde à autoriser les laboratoires à faire de la publicité directe), de doubler le nombre de patients traités pour troubles bipolaires.

De même, nous avons un peu élargi le diagnostic du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention pour permettre de repérer davantage de filles. Et nous avons eu la surprise de voir les laboratoires s’engouffrer dans la brèche. Le marché des médicaments contre les troubles de l’attention est passé de 15 millions de dollars avant la publication du « DSM-IV » à 7 milliards aujourd’hui…

http://osibouake.org/?DSM-5-Le-derapage-incontrole-de-la

je ne tiens pas à faire une enquête, les enquêtes existent, il suffit de les trouver. je veux juste souligner que nous sommes arrivés à une ère où le DSM fait la loi partout, que cette loi est étroitement liée à celle de l’industrie pharmaceutique, et qu’il n’a pas cessé de multiplier les troubles… et les médicaments (il ne faut plus aujourd’hui être malade pour être médiqué : un trouble suffit).

au départ je pensais avoir lu ce que je rapportais dans un livre de Sandra Lucbert, Personne ne sort le fusil, mais je me suis trompée. Il y est bien question du DSM, d’invention de maladie, mais pas de la bipolarité.

elle écrit :

Comme ses bons camarades, le management et la dérégulation financière, le DSM s’est imposé sans partage depuis son remaniement des années 80. La psychologie mondiale se réfère au DSM. (…) Il a été élaboré par l’armée et l’industrie pharmaceutique, qui ne cesse d’investir dans la rentabilisation du fardeau humain. Le DSM invente des maladies à mesure que de nouvelles tortures de management apparaissent. Plus on crée de nouvelles tortures, plus le DSM invente de « troubles ».

(…)

Le manuel a fait passer le nombre de pathologies mentales d’une dizaine à plus de quatre cents. Toute une gamme de symptômes qui réduisent le psychisme à des troubles remédiables isolément par des médicaments.

Un trouble, un médicament. Un individu : plein de médicaments – une machine à cash pour l’industrie pharmaceutique.

(…)

Dans le DSM-5, la vieillesse devient un trouble cognitif mineur, les périodes de règles deviennent un trouble disphorique prémenstruel.

Dans le DSM-6, la tristesse causée par un deuil devient pathologique si elle excède 15 jours, le manuel préconise alors des antidépresseurs. »

Sandra Lucbert, Personne ne sort les fusils

je terminerai avec cet extrait d’un article du monde diplomatique, qui lui a directement trait à la bipolarité :

Bien plus, mieux vaut que le nombre de troubles croisse et se multiplie. Parmi les derniers en date, le trouble bipolaire a bénéficié d’une large promotion médiatique, alors qu’il ne fait que pathologiser la maladie universelle du désir : celui-ci s’élance en riant vers l’objet de son rêve, mais, dès qu’il l’atteint, son rêve est encore plus loin, et son rire se conclut par des larmes. Tant que la vie va son train, nous sommes très normalement bipolaires, c’est-à-dire un jour euphoriques et le lendemain abattus. Mais il arrive que, dans les psychoses mélancoliques, l’objet du désir soit la mort elle-même, ou l’explosion d’une survie maniaque. Le diagnostic de bipolarité devient alors criminel, lorsqu’une différence n’est pas faite entre le cycle maniaco-dépressif des psychoses — avec un risque de passage à l’acte grave pouvant justifier la prescription de neuroleptiques — et l’euphorie-dépression des névroses. Cette distinction rayée des DSM suscite de nombreux drames (3).

La médicalisation de l’expérience humaine, Gérard POMMIER https://www.monde-diplomatique.fr/2018/03/POMMIER/58465

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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