#01bis  |  le bloc brouillon

Publié le Catégorisé comme atelier

Avant cela. Réfléchir peut-être à la façon dont ça a commencé. Dont ça aurait commencé, écrire. Il y eut les devoirs d’école, les rédactions les dissertations. Et déjà, il est vrai la surprise de ce que ça s’écrive et qu’il n’y ait pratiquement rien à rajouter, jamais à corriger, tout d’un coup le point final et puis les félicitations des professeurs. Il dut y avoir quelques lettres. Des journaux quelquefois entamés, rapidement détruits. Et l’accident, elle a 18 ou 19 ans. Elle se rend à une répétition de théâtre et une voiture lui cogne le genoux comme elle avance la jambe gauche pour traverser. Elle est opérée, on lui annonce ensuite qu’elle doit rester 3 mois sans mettre son pied à terre. Elle loge chez ses parents. 

Sonia, dans le canapé lit les livres que lui apporte son ami, lit les livres, regarde les films. Découvre ainsi Duras. Les films, les livres. Son premier livre de Freud. Beckett. Une introduction à la lecture de Jacques Lacan, Tome 1, Tome 2, qu’elle dévore. Et c’est au cours de cette  dernière découverte  qu’elle se met à écrire un roman qui lui vient comme un rêve, dans la plus grande facilité, aussi bien qu’étrangeté. Jour après jour, elle remplit le bloc, les blocs de papier brouillon qui ne sont ni lignés ni quadrillés, aux feuilles beiges, un peu rêches, qui se détachent par le dessus, à la couverture verte, de son écriture régulière. À aucun moment avant d’écrire elle ne sait ce qu’elle va écrire et cela lui plaît. Si ce n’est qu’elle aura quelques difficultés à le terminer, cela ne sera terminera pas vraiment. Enfin, la fin ne sera pas à la hauteur de l’intrigue de départ. Un homme a un accident, se retrouve à l’hôpital, on découvre qu’il a trois lettres écrites dans sa tête, PER, il se dit qu’il a la marque d’un produit à laver la vaisselle inscrite dans sa tête. Et c’est alors son histoire qui commence, qui est plutôt son absence d’histoire. L’homme est calme et fade. Sa femme, il en a une, à tout d’une marâtre. A-t-il une fille. Il rencontre dans des circonstances étranges une jeune femme, Anna, qui s’avère être une extra-terrestre. D’où elle vient, les êtres sont faits entièrement de lettres. 

Il avait fallu alors taper le roman, à la machine. Peut-être même fallut-il pour cela apprendre à taper à la machine. C’est la grosse machine à écrire électrique de sa mère. Les 3 mois d’arrêt avaient passé, il fallait reprendre là où on avait tout laissé. 

Sonia pensait qu’elle était entre-temps devenue écrivain.  

Même si elle n’en était pas absolument convaincue. 

Ne restait il l’importante question de l’édition.  

Enfin, elle pensait que ça ne cesserait pas, la facilité à écrire. La possibilité de la fiction.  

Elle continua. 

Il y eut des écrits volés1. Auxquels, elle tenait beaucoup. Des écrits lumineux. 

Un fol amour épistolaire.

Elle commença une analyse. 

Tout en poursuivant l’écriture d’un roman qu’elle finit pas découper en nouvelles.  

Car son écriture change avec l’apparition des ordinateurs et les possibilités infinies du copier/coller. Ils sont loin les blocs de papier brouillon sans rature. Son écriture toujours pleine de ses lectures. Duras, mais surtout Beckett.  De courtes fictions proches du rêve, de la fable. Petit à petit, elle se perd dans les phrases qu’elle ne cesse plus de retravailler et le doute l’assaille.  Elle envoie des manuscrits à des éditeurs. Elle n’ose se faire lire de personne.  

Elle abandonne l’écriture de fiction. Bien plutôt la fiction l’abandonne-t-elle.

Elle se met à écrire sur sa propre analyse. 

Elle mit un temps fou à rejoindre, à entendre ce qui se formulait d’elle dans ce qui fut son premier roman et s’avèrera être le dernier. A le rejoindre et à peut être trouver le moyen de le dépasser.  

  1. La première fois, il s’était agi d’un bloc brouillon rempli des histoires de Decodine. Ils étaient dans son sac qu’elle avait à l’arrêt déposé sur le siège avant de la voiture, à sa place, celle du mort, et le temps qu’elle charge à l’arrière le coffre de la voiture, le sac et ses précieux écrits disparurent. C’était le jour où elle quittait la maison de ses parents. La seconde fois, ce fut un peu plus tard, ils lui furent subtilisés lors d’une perquisition de police dans son appartement et jamais restitués. Là, il s’agissait d’un journal « secret » (dont certains propos lui furent renvoyés à la figure lors d’un interrogatoire; des coups à cesser à tout jamais de tenir un journal). ↩︎

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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