Au nom d’aucune
— lundi 4 oct. 2021, 09:46

4 octobre 2021 | octobre 2021 | brouillonne de vie | |

Aucun choix qui ne se soit avéré impossible, à chaque croisée de chemins emmurée. Ciel qui à certains parle, muet sans me voir, image d’un corps inatteignable, moins doué d’amour que d’extases hors durée.

Vint celui qui m’a donné le souffle. Celui ou celle. Au corps d’une voix blanche traça des allées, donnant enfin retours et soif. Du doigt de la voix et des noms.

(Enfin retours et soif. Du doigt de la voix. Et des noms. Enchantés. Oh, te salue au nom d’aucune.)

Oublier l’entendement.

Hasard dodelinant des syllabes auxquelles obéir sans crainte, qui vous glissent sur les veines, qui vous glissent dehors dedans. Galopent cataclop. Et soif.

Un corps reçoit ses noms.
Un corps reçoit ses noms!
Cloches.
Baptêmes contre anathèmes.

Rugissez. Ici le bas-ventre né chapeauté. Y tirer les gouffres. Coulées de douceurs, résons d’écritures, renversée.
Les yeux. Noyés de bois verts, de bois vie.
Telle est l’ardeur : ce puits.
Se lève. À tes lèvres,

« Nous comprenons l’écriture qui chauffe et qui brûle. »
« Qui chauffe au bois. »

(D’après Lève bas-ventre de Gertrude Stein – Atelier d’écriture Laura Vazquez)

ma mère l’oiseau

24 octobre 2021 | octobre 2021 | brouillonne de vie | , , |

ma mère l’oiseau
ta jolie tête penchée ton petit bec piquant
la moire de tes yeux
tes plumes toutes de soie
tu veilles sur nous
tu nous dis

entends-tu la couleur du tu, comme la terre
d’où tout revient
c’est l’envers de la grammaire
qui tire son teint des beaux oiseaux
tu nous dis

de la syllabe murmurée
bulle
entends-tu
le vert l’émeraude du secret de tes rêves

nous dit-elle de sa langue oiseau, qui tapote tricote faufile faucille
ses pattes nous laissent tranquilles signes
comme des baisers de cils

oct 21/nov 22 – atelier Laura Vazquez (Christine Lavant)

tu je 1, 2 et 3

21 mars 2022 | mars 2022 | brouillonne de vie | , , |

tu je 1
tu vois
il n’y a plus du tout de je
il n’y a plus du tout de tu
(on dirait)
et je parle à je
je lui dis
qui es-tu
je me dis
qui est tu
qui est tue
et surtout
que dis-tu
que dit tue
et pourquoi ?
est ce tu
(des profondeurs)
tu es je
je vois-tu
ça me tue
ça tue je
ça je tue
 
puis tu dis
mais à qui
tu te tues tu te tues tu te tues
tu redis
mais à qui ?
et pourquoi ?

tu je 2
que tu dis que tu dis que tu dies et que du
que je dis que je dis que je die et que jus
que je mie que je tie que je die et que tu
que tu zides, que tu dizes, que tu dizes et que zu

tu je 3
que tu gies, que tu gies, que tu gies, et que jus
que tu gies, que tu gies, que tu gies, et que ju
que tu gies, que tu gises, que tu gises, et que j’us
que tu mises, que je tises, que je tuses, et que j’eus
que je rie que tu dies, que tu filles, et que dû que je gie,
que je gie, que je gie, et que j’eus
que je gie, que je gise, que je gise, et guedu
que je sus, que je mû, que je nue
et guedu

Atelier Anne Sexton

Mon identité tient mal
— "Qu'y a-t-il dans un nom ?"

18 septembre 2022 | septembre 2022 | à propos, brouillonne de vie, Les points sur le U | , |

Mon identité tient mal. Ou tiendrait mal. Parce qu’il y a un moment où quand l’identité tient mal, le sens ne tient plus très bien la route. À moins que ce ne soit le contraire. Parce que le sens ne tient pas, l’identité ne tient pas. Mais je ne pense pas. C’est depuis ce problème de départ avec ce que serait mon identité que le sens s’est pour moi souvent teinté de doutes, voire s’est annulé, annihilé.

Je précise que c’est là où l’identité tient à un nom, à un prénom accolé à un nom de famille, un patronyme, que cela me pose problème. Je n’arrive pas à relier ma personne, qui existe bien pour moi, à mon nom. Quelque chose en moi s’y refuse. Ce nom, dont il est cependant usé dans les administrations, les hôpitaux, les invitations, par les amis, par des vendeurs, pour des colis ou des factures, est pour moi comme une enveloppe vide, morte. Dans les lettres cependant, dans la correspondance, cette enveloppe trouve tout son sens. S’anime, vibre, vit. Et me remplit et se remplit.

De même à chaque fois que je suis nommée, quand il ne s’agit pas de l’appel dans une cour d’école, par exemple, c’est comme si je recevais une nouvelle fois mon nom, un nom. C’est un baptême à chaque fois. Un tressaillement. Alors, l’enveloppe rejoint sa lettre, le contenant son contenu…

Attacher mon nom à ma personne me pose un problème. Sans que je sache vraiment lequel. Sans que je le comprenne. Une étrangeté.

Une vie vouée à l’anonymat.

Il est possible qu’un jour je trouve une explication à cet état de fait, peut-être plus commun que je ne le crois. Dont on imagine mal ce qu’il peut entraîner comme handicap dans l’accomplissement de sa vie.

Il aurait fallu que je me fasse un nom, que je me fasse ce nom. J’ai été tentée souvent d’en prendre un autre, un pseudo, un nom d’artiste. Mais curieusement alors mon identité me paraissait tronquée. Divisée. Et c’était comme devoir assumer deux vies différentes. Dont l’une n’est pas la mienne.

Exactement comme si le manque d’adhérence à mon nom m’identifiait plus authentiquement qu’aucun nom. Mon manque à mon nom. Était ce qui réclamait reconnaissance.

En même temps, je me connais en tant que Véronique Müller. Intimement. Je me reconnais. Et peut-être que les années d’analyse ont-elles servi à cela, dans le secret du cabinet, nourrir l’identité, le nom – le symptôme. Et qu’il faudrait que j’examine à quel endroit, à partir de quelle zone limite, ça ne fonctionne plus, l’usage du nom. À moins que je ne le sache déjà.

Le symptôme n’est pas ce qui trouve à s’inscrire, à s’insérer le plus facilement dans le discours contemporain.

Mon nom traînerait toujours avec lui le poids de l’intime, dont il ne se départirait pas.
Contrairement donc à ce que j’affirmais d’abord.
Non pas étrange, mais trop intime.

Que je m’y sois liée par la psychanalyse et par l’intime, le réel. Le secret.

Du coup lui aussi toujours trop nu. Pour les mondanités trop légèrement vêtu.

Du coup, plutôt que dans les astres, je parlerais d’ancrage du nom dans la matière de qui s’est tramé, de ce qui a pu se tramer d’histoires autour et au départ de son réel, ce qui au fil des séances s’y est brassé et accordé de jouissance, venant s’inscrire à même le corps, faisant chair.

* « Du symptôme à son épure : le sinthome » de Jean-Guy Godin repris dans le Joyce avec Lacan de Jacques Aubert, que l’on peut lire là :

https://excerpts.numilog.com/books/9782868270498.pdf

(Où chaque exception réclame sa loi, cherche le couvert de la loi, là où le symptôme peut trouver à s’inscrire dans la loi comme exception.)

Atelier Laura Vazquez

La voix de ma tante

3 janvier 2023 | janvier 2023 | brouillonne de vie | , , |

La voix de ma tante


Aujourd’hui, j’ai compris combien c’est ta voix qui me manque
Ce dont vois-tu je ne me doutais même pas
C’était tous les ans la même chose, à cette époque de l’année, de la grande fête
Je me trouvais soudain plus seule encore qu’à l’habitude
Des jours durant, agitée, abattue
Malgré moi plongée et replongée dans un passé
Dont l’éclat me revenait par bribes
Celui des papiers brillants
Surtout celui de ta voix riant
Qui s’élançait dans l’escalier traversait la maison envoyait ses ordres s’adressait aux uns et autres et lançait un maelstrom d’activités pour préparer la fête

Des jours et des jours durant, année après année, les mêmes gestes répétés

Et je pouvais te suivre, en silence, partout avec toi accomplir. J’avais ma place dans le monde. Il m’était demandé et je pouvais répondre et je riais aussi sous tes regards discrètement tendres 
Est-ce qu’aujourd’hui encore dans l’amour j’attends cette voix sans peur qui prend si largement l’espace et me l’ouvre
On pourrait bien le croire quand l’angoisse referme sur moi son couvercle, à force de silences prolongés
Il est rude de ne plus t’entendre. Ma tante. Et depuis que j’ai compris cela, c’est moi qui donne de la voix, je la donne, tu vois, comme toi, vaillamment, je la lance, j’y mets comme toi autant de gaieté possible. Et je repense à toi.
C’est comme de retrouver jambes, corps, vie.
A cette époque de l’année.

Liens : Titi

Top