Mauvaise nuit que cette nuit où un souvenir est redevenu mauvais. Comme la semaine dernière, je m’attelle maitenant à écrire la dernière séance et ses suites. Je n’en ai pas envie ou ça me fait plutôt peur, mon esprit est vide, en fait je redoute de ne pas y arriver. Essayer de le faire sans y penser. Plonger, ou plutôt descendre les marches qui pénètrent la piscine. Tant que je ne le fais pas, je crains de restée hébétée, hébétée et tentée de garder les yeux clos. Trêve de précautions oratoires, ouvrons l’œil, allons-y. J’ai abandonné Fred à Jules (le pauvre. Le stylobille roule sur le carnet).
Séance : J’ai commencé en reprenant ce que j’avais découvert ici en écrivant. Hé zut, Jules pleure devant la porte. Je suis repartie de l’idée d’un avant et d’un après le certain événement en cause cette nuit, dont j’ai dit que je ne voulais pas le raconter, dont j’ai parlé en disant que j’y avais été confrontée à la méchanceté. A cause duquel, il me semble que je perds maintenant les mots. Il me semble que c’est déjà tout, que je n’ai rien à ajouter. Je sais que ce n’est pas vrai. Jules pleure, Jules hurle même, je ferme les yeux. Ce terme que j’ai utilisé m’a frappée, de « méchanceté ». Non point d’ailleurs celui-là, mais ceux de « gens qui avaient été méchants avec moi ». Et que c’était cela qui dans ce qui m’était arrivé m’avait « frappée », avait compté – plutôt l’aspect méchant que l’aspect sexuel.
J’ajoute que s’il m’a frappé, ce signifiant de « méchanceté », c’est qu’il est depuis longtemps présent dans mon analyse, c’est un signifiant que je connais bien, mais pas sous cet aspect-là. Je me suis trouvée moi-même « méchante ». Longtemps, je me suis moi-même trouvée « méchante ». C’est ce qui m’a effleurée, en séance. Par après, il m’a semblé que ce signifiant prenait là une coloration sexuelle. Plutôt que de dire « j’ai été abusée, sexuellement, abusée », j’ai dit « on a été méchant avec moi ». Je n’ai pu m’empêcher, y repensant le lendemain, de penser que la méchanceté était venue couvrir le sexuel. J’ai dit que ce qui s’était passé n’avait pas été compris. je pense que c’est cette collusion brutale de la méchanceté et du sexuel qui a fait « trauma ». J’ai repensé aux paroles de mon père, durant ses délires, à la fin de sa vie, à propos de l’horreur du rapport sexuel, de la violence, de la brutalité, de l’horreur. Enfin, l’énigme reste entière. J’ai rencontré quelque chose que je n’ai pas avalé, qui n’est pas passé. J’ajoute que cette idée de méchanceté ne m’est venue qu’au moment où je me trouvais devoir parler de ce souvenir. Pour ma part, je n’avais jamais jusque là pensé ça en ces termes-là. Au cours des insomnies qui ont suivi, je ne cessais de me repasser le film de ce qui s’était passé. C’était très désagréable, et c’est ce qui m’est arrivé vendredi.
En séance, je dis qu’à cette époque, je couchais avec tout le monde, j’étais un peu « innocente ». Comment le dire cela n’avait pas d’importance cela n’était pour moi ni bien ni mal, ce qui arrivait à mon corps n’avait pas d’importance. Il me semblait que les hommes voulaient cela, que cela leur faisait plaisir. Cela ne m’en faisait pas le moindre, mais cela ne me faisait pas mal non plus. Ma mère m’avait dit que c’était « la plus belle chose du monde » et je devais penser, plus ou moins consciemment, avec chacun d’entre eux, que nous nous marierions et aurions beaucoup d’enfants. C’est à ça que je pensais quand je disais que j’étais plutôt innocente. Je ferme les yeux. Je suis sur le lit dans la chambre. Je glisse mes jambes sous la couette, je m’étire. Jules a cessé de pleurer.
Ne se pourrait-il qu’on reste les yeux fermés.
Jules a recommencé à pleurer. Peut-être faut-il lui céder, y aller ? Dormir. Un phrase hier dans un article [1] me fait penser que pour moi effectivement mon corps n’était pas sacré (ou est-ce déjà là quelque chose de déduit de mes expériences, ce qui désagréable à réaliser). D’où la difficulté pour moi de plaindre, par exemple, de « viol ». Enfin, c’est ce que je crois. D’où l’impossibilité de me plaindre tout court. Même à moi-même. Revenant de cette nuit, avec les deux hommes, celle que je ne veux pas raconter, je n’étais malheureuse. J’avais les yeux ouverts. Je suis tombée. Comme je l’ai dit en séance, quelque chose n’a pas été compris. Il a fallu que je me lève pour Jules. Frédéric est venu me chercher. Je ne suis pas sûre de reprendre.
[1] On comprend mieux alors, qu’à l’opposé, le touche-à-tout ne peut être pris au sérieux, il est celui qui n’a aucun tabou car il ne discerne pas entre le profane et le sacré. Autrement dit, il ne respecte rien car il fait fi du réel. (« Odor di femina. Le séminaire sur la lettre volée » Yasmine Grasser sur le site de la Cause freudienne (LEL 37)). Je ne dirais pas de moi que je ne « respectais rien », mais bien éventuellement que j’aie pu faire « fi du réel ». Ou que c’était ce qui m’avait été transmis, l’amour, une sorte d’amour faisant « fi du réel », du réel du sexe. Et c’était là, ce qu’il y avait à apprendre, à rencontrer, et que la rencontre fut mauvaise – mais se peut-il autrement ? Et que ce qui trouva des mots, fut reconnu, fut la méchanceté, le mépris, cela qui fit son chemin dans ma conscience. Mais il n’arriva pas que je me révolte, je le répète, je suis tombée, lentement. Un peu plus tard, je restai une semaine au lit, à dormir, ne voulant plus me lever.