#ateliers #été2023 #05 | ce qui échappe (compressions du temps) – atelier du 9 juillet
Première tentative, je ne l’ai écrite que parce que j’en ai eu l’idée. Je voulais vérifier à quoi ça pouvait éventuellement mener. Ça mène trop loin et je ne l’ai pas publié sur le site de l’atelier. De quoi s’agissait-il ? De plusieurs voix qui commentent un même événement. « Se saisir d’un point d’intensité du réel, et en démultiplier le récit par témoins interposés » et aussi : « développer le récit en relation inverse à la durée dont il traite, faire récit d’une compression du temps. » Sont cités : Baudelaire, Dostoïevski, surtout Faulkner dans Le bruit et la fureur : « …six narrateurs, chacun s’exprimant par monologues disjoints. La rupture décisive avec l’ancien principe convenu de réalité, puisque la réalité n’est que la somme disjointe de ses perceptions et représentations.«
Or, je me suis trouvée complètement bloquée face à l’invention nécessaire de ces voix, alors même que l’idée de ces multiples fois voix me parlait, m’évoquait quelque chose d’aussi fuyant il est vrai qu’insistant. Donc, je me suis lancée dans ce que j’ai fait, pour m’en débarrasser, parce que je ne parvenais pas à m’en débarrasser (de ce fantôme d’idée). Comme il s’agissait avec Faulkner d’un enterrement, et aussi peut-être à cause d’un texte (renversant) publié sur le site de l’atelier, j’ai eu l’idée de ces voix imaginées par qui projetterait de se suicider. Je ne sais pas d’où me venait l’idée. Je pensais que quelque chose pourrait revenir. Mais rien. Rien n’est revenu. Sinon ce texte, et je dois chercher autre chose. Pourquoi faut-il que je songe à la mort, à cette mort, pourquoi est-ce que je reste coincée là. C’est à chaque fois pareil finalement, en réponse à la proposition quelque chose s’impose que je n’arrive pas à chasser, malgré ma compréhension globale de la proposition, ma compréhension et mon intérêt, je n’arrive à en retenir qu’une part, de laquelle je n’arrive pas à me décrocher et dont je ne veux pas. Noter, peut-être, à chaque fois, ce qui a « accroché », ce qui s’est imposé, empêchant la venue d’autre chose. Ici, ce qui a accroché, c’est : l’idée d’un enterrement et de ces voix imaginées qui parlent suivant un cercueil, le cercueil d’une personne suicidée. Par ailleurs, cette idée, une fois que je m’y suis engagée, j’ai espéré pouvoir en profiter pour multiplier effectivement les vois voix autour de l’un ou l’autre personnage restant à développer encore, faire entendre des voix qui pourraient en dire quelque chose, mais même ça, non. J’ajoute que dans ce que j’essaie de faire ici quelque chose résiste furieusement à la saisie d’aucun personnage. L’auteur en viendrait à se demander ce qui peut à ce point résister à faire exister – vivre – un personnage (car c’est à proprement parler tout à fait extraordinaire – ce par quoi l’auteur en passe face à ce qu’elle ressent littéralement comme un impossible et à quoi elle ne s’attendait pas, dans l’erreur complète où elle était. Et encore elle se demande s’il s’agit pour elle d’un consentement à obtenir, d’un sacrifice à faire, à moins que ce qu’elle fait : ne pas y arriver (ne pas donner la vie, ne pas faire vivre ce personnage, qu’elle ne nomme même plus ici) : ce soit exactement ce qu’elle veut faire). A moins, et beaucoup plus simplement, qu’elle ne soit juste pas romancière, après tout, cela arrive (on en voit d’autres, on n’en meurt pas, non plus).
NB : je note que tout du long je choisis de dire « voix » plutôt que « narrateur » (et que cela me coûte 2 lapsus calami – multiple voix/fois/vois).
c’est ce dont j’ai toujours rêvé, dites-vous, pourtant je n’ai rien dit de tel, d’où cela viendrait-il. je n’ai rien dit, il me semble et votre agacement. ce n’est pas le moment de se taire. non, sans doute, non. vous vous plaisez à imaginer ce qu’ils diront. comment ils pleureront tous, comment ils pleureraient. du bout de la bouche, j’avoue, un peu. elle lâche ça. cela a pu avoir lieu. mais, qu’a-t-on dit, une fois qu’on a dit ça. on a dit quoi. qu’est-ce qu’on écrase, ignore. oui, un peu, oui. peut-être ça a été. et pourtant non. non. je l’imagine assez, la façon dont. donc, non. je l’imagine assez ou je ne peux l’imaginer. j’imagine la destruction. pour les autres. je fais partie de ceux que cette pensée arrête. et souvent j’ai cherché à trouver les mots, à laisser les mots qui auraient pu rendre acceptable. les mots pour m’excuser. donc, c’est faux de croire, de dire, d’insinuer que j’aurais pris plaisir, que je prendrais plaisir à imaginer les pensées de celles et ceux, qui m’aiment, de mes proches, le jour de ma disparition. je me sais aimée. il faudrait que la pensée à eux disparaisse, disparaisse complètement. ce qui arrive, ce qui est arrivé. qu’ils n’aient plus existé. (s’il m’est m’arrivé d’imaginer les pensées d’un tel ou d’une telle à ma disparition, c’est qu’il s’agissait de quelqu’un que je ne connaissais pas vraiment, d’un fantasme ou d’un amour, mais s’agissant de ma famille, non, il ne faudrait pas que je pense à eux.) enfin, là je suis dans l’oubli, les temps se compriment. même dans le « désir de mourir » – qu’on peut à peine appeler comme ça tant le désir précisément en est inhabité, déserté -, même dans le besoin de fuir, de s’arracher, de s’expulser, ou dans ce qui au quotidien peut se trahir d’une façon de ne pas tenir à la vie, il y eut une progression. depuis l’enfance à aujourd’hui. mais tout de suite : c’était moi. et il m’étonna que ce ne fut pas les autres. eh bien je parle de… cette façon de ne pas tenir à la vie… s’il y eut, s’il put y avoir l’imagination un jour, une nuit, le fantasme de ce qui se dirait de moi à mon enterrement, en suivant mon cercueil, si cela eut lieu qui me dit quelque chose, ring a bell, c’était il y longtemps, c’était dans les premiers temps. des choses lues peut-être dans des livres théoriques. et cela fut levé, comme on lève un lièvre, par le susdit psy déconcerté, et cela sonna faux, et cela refermait, ce qu’il y aurait pu avoir à dire, sur ce désir, cette volonté, cet impératif. cette intervention de l’analyste, à propos du plaisir que j’y aurais pris à imaginer le désespoir de mes proches, cela me chargeait de cela, cela augmentait la charge, et tentait de réduire ce désir de mourir à une histoire qu’on se raconte pour se faire plaisir le soir quand c’en est tellement loin, cela refermait la possibilité d’une parole. même s’il n’ y en a probablement aucune possible. est-ce que je me mens, est-ce qu’il n’y eut cette pensée, le cinéma qu’on se fait, que la honte de la question de l’analyste, vous vous plaisez à imaginer… a refoulée, rendue dorénavant impossible ? ce qui n’enleva cependant pas. ce qui ne ramena cependant pas. l’envie de poursuivre. l’imagination de ce que des voix auraient dit. de ce qui se serait dit. ce qui se dit de vous après votre mort. aussi quand j’y pense, tant qu’on y est, l’imagination du posthume, de l’écrit posthume. ce qui se dirait, puis, l’écrit exhumé. et donc, il n’y eut pas de désir de punir ? sursaut. c’était il y a très longtemps, son « premier divan », quel âge a-t-elle. punir ? est-ce pour punir que j’aurais voulu mourir ? mais qui d’autre, sinon moi-même. oui, dit l’analyste se levant, qui d’autre.
Blanche, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, se lève à son tour, de sa poche tire les billets préparés, les lui tend en sortant. ce qui est étrange songe-t-elle remontant la rue vers chez elle, ce qui est étrange, c’est que j’ai été furieuse sur l’un de mes deux parents, sur papa ou sur maman, et que je ne parviens plus à m’en souvenir. il y eut un ressentiment profond, qui toujours la ramène à cette scène où, marchant dans la rue vers la boulangerie, elle avait interrogé son frère : tu préfères qui toi, papa ou maman, sa surprise, à lui. et sa fureur à elle, à l’entendre répondre qu’il est sans préférence, elle explose de colère, contre l’un des deux, mais duquel s’agissait-il ? pendant des années elle s’en est souvenue. jusqu’à ce qu’elle oublie. est-ce que l’auteur ici ne pourrait pas décider ? est-ce que tu crois que ça a de l’importance ? ta mère aussi fut sans préférence.