Hantaï – Nancy : L’exposition qui n’a pas eu lieu. alors le livre d’une correspondance.

13 juin 2013 | juin 2013 | art | , |

« Simon Hantaï, connu comme un des plus grands peintres français des années 1960 à 1990, avait décidé de ne plus peindre ni exposer. En revanche il lisait des philosophes et entretenait des rapports avec certains, soucieux qu’il était des enjeux de son art. Au fil d’années de conversations et d’un travail commun autour d’un livre de Derrida, Jean-Luc Nancy avait essayé d’ouvrir une voie vers un projet qui n’aurait pas abouti à une « exposition » mais à une mise au jour, à une monstration du travail et de la pensée de Hantaï. Celui-ci en vint à approuver ce projet qui commençait en même temps à pouvoir être pratiquement mis en œuvre. Mais sa disparition, en 2008, suspendit l’entreprise dès son premier pas.

Le chemin qui y avait mené n’en était pas moins consigné dans un certain nombre de lettres par lesquelles Hantaï avait accepté de répondre à la demande de Jean-Luc Nancy : parler de son travail et de son histoire, dire ce qui, pour lui, faisait l’essentiel de la peinture. Un motif domine ses déclarations : l’effacement de l’’auteur’, du ‘créateur’, l’impersonnalité de l’acte d’où surgit l’œuvre. Ce retrait farouche du ‘moi’ le tenait à l’écart aussi bien de la scène artistique publique que du marché de l’art et des revendications théoriques, des mouvements ou des tendances. »

Simon Hantaï Jean-Luc Nancy, Jamais le mot créateur (Correspondance 2000-2008)

Au verso : « Jean-Luc – un musicien m’a envoyé ce dessin. Il travaille sur des Faltenstudien 126 en musique. Les coussins sont des gros sacs accrochés dans l’atelier à Paris et à  Meun. Leurs déformations donnent les coupures et les formations. Panses et Meuns . Don intelligent et reçu avec joie. Affections, Simon »
Au verso : « Jean-Luc – un musicien m’a envoyé ce dessin. Il travaille sur des Faltenstudien 126 en musique. Les coussins sont des gros sacs accrochés dans l’atelier à Paris et à Meun. Leurs déformations donnent les coupures et les formations. Panses et Meuns. Don intelligent et reçu avec joie. Affections, Simon»

« Quelque part, dans une lettre j’ai fait allusion au matelas chez Lacan. Cette toile était vraiment un matelas par terre que j’ai rempli de peinture. » (Cette toile, ...del Parto, est actuellement exposée au Centre Pompidou)
« Quelque part, dans une lettre j’ai fait allusion au matelas chez Lacan. Cette toile était vraiment un matelas par terre que j’ai rempli de peinture. »

Notes à propos de ce carton:

A propos de la tabula « del Parto », actuellement exposée au Centre Pompidou, voir le très bel article de Lunettes rouges :  http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2013/05/29/des-couleurs-naissent-et-meurent-hantai/

Quant au « matelas de Lacan », Hantaï se réfère probablement à  l’image empruntée par Lacan du point de capiton  – qui dans le matelas presse et cloue en certains endroits le dessus et le dessous :  « point de capiton par quoi le signifiant arrête le glissement autrement indéfini du signifié » (Ecrits p. 805)

le point de capiton de Simon Hantaï

14 juin 2013 | juin 2013 | art | , , , |
La Madonna del Parto de Piero della Francesca v. 1455, Museo della Madonna del Parto, Monterchi
La Madonna del Parto de Piero della Francesca
v. 1455, Museo della Madonna del Parto, Monterchi

C’est à cette  Madonna del Parto de Piero della Francesca que Simon Hantaï dédie  …del Parto :

... del Parto, Simon Hantaï (1975)
… del Parto de Simon Hantaï

Sur un carton d’exposition, il la décrit  dans ces termes :

… del Parto, Tabula 1975
Acrylique sur toile pliée 255 x 320 cm
Parmi les Tables peintes à cette époque, quelques unes de couleur terre. Terre verte, rouge, Pozzoli, terre brûlée et ce caput-mortuum.
Pliée en rectangles, les croisements fixés par des nœuds à l’envers. La face capitonnée mise par terre est peinte. La couleur caput-mortuum rentre dans la toile instantanément. Ne bave pas, souligne les coupes, les échardes et l’étoilement sec et sans séduction. Les nœuds enlevés et dépliés, le capiton s’ouvre en fente partout.
A la Madonna del Parto.

Sur ce carton, à l’encre manuscrite, il écrit également :

Quelque part, dans une lettre j’ai fait allusion au matelas chez Lacan. Cette toile était vraiment un matelas par terre que j’ai rempli de peinture.

« Quelque part, dans une lettre j’ai fait allusion au matelas chez Lacan. Cette toile était vraiment un matelas par terre que j’ai rempli de peinture. » (Cette toile, ...del Parto, est actuellement exposée au Centre Pompidou)

Je donne ici quelques photos (toujours) tirées du film de Jean-Michel Meurice qui illlustrent bien à quel matelas, et quels points de capiton, Hantaï fait allusion, en référence avec l’importante notion lacanienne de « point de capiton » :

Sur la Madonna del Parto : http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2005/05/la_madonna_del_.html

Sans titre

17 juin 2013 | juin 2013 | brouillonne de vie | |

– n’avais-je au fil des ans acquis quelque savoir-faire en matière de remplissage de lave-vaisselle ?

– de lave-vaisselle quand il s’agit du vôtre, je veux bien le croire. mais quid de n’importe quel autre lave-vaisselle?

las. je n’eus plus la force de prononcer un mot de plus.

Simon Hantaï, « s’engendrer soi-même »

19 juin 2013 | juin 2013 | art, psychanalyse | , , |

 du « se parare » ou « se parere », l’objet dans la refente

[ Comment l’Un fait-il pour être à la fois le plus impersonnel et le moins ? Le plus indifférent à la qualité et la qualité même, sa racine. Reste ultime du trauma.]

L’Un répété des carrés de couleurs de Hantaï, ce pur Un des Tabulas, ou Tables comme il les appelle également, « Tables du Un », reprend, lui ramène, lui restitue, une jouissance qui n’appartient qu’à lui. La substantifique moelle. Et, elle, ce précipité de jouissance, paradoxalement, est ce qui passe à l’universel. Peut être comprise, jouïe, en dehors même de la connaissance du trajet de Hantaï – même s’il faut probablement avoir avec lui quelques jouissances communes… plan_hantai-1-6001

Ce trajet, cette trajectoire d’Hantaï l’exposition de Beaubourg les retrace de façon remarquable. Et on ne peut s’empêcher de se poser la question de ce qui permettra, voire ce qui obligera, cet élagage qui le fera passer de la profusion de la période surréaliste à l’abandon de la peinture, aux Laissées.

Probablement, tout de suite, y aura-t-il la question de la peinture très vite rapportée à ses composantes de bases :  la toile et la couleur. On sait ( ou  on l’apprend dans cette exposition) l’influence qu’aura le travail d’Hantaï sur des groupes comme Support/Surface. Comptent bien sûr les questions du langage, de la langue, de la lettre ; de la philosophie et de la psychanalyse. Celle du sujet, et surtout de ce qui le dépasse, va au-delà de lui, puisqu’il en prône l’effacement. De ce qui lui subsiste quand il ne reste plus rien de lui, mais tout de même quelque chose, encore. Une chose poursuivie avec opiniâtreté et méthode, une méthode calculée pour laisser la plus grande part au hasard, au réel. De la trace, de l’empreinte. Du geste, du travail, et du travail dans ce qu’il a de fondateur d’une communauté, dans le souvenir impérissable de son enfance en Hongrie. D’un au-delà du travail individuel. D’un refus sans concession de la perversion du marché et du marché de l’art en particulier.

La substantifique moelle. Celle du tablier de sa mère (qui vient couvrir quoi?) Et de l’entaille que découvre la Madone enceinte, la Madonna del Parto de Piero della Francesca ( qu’Hantaï découvre peut-être lorsqu’il quitte la Hongrie et parcourt l’Italie avant d’arriver en France) à laquelle il dédie une tabula,  qui lui évoque le point de capiton lacanien. Se souvenir ici de ce que Lacan avance sur la séparation de l’objet, du se parare qui passe au se parere, du « se parer » à « s’engendrer soi-même » ; puisque c’est bien de cela qu’il s’agit ici, dans cette convergence de l’entaille de la robe de la Madonna del Parto et celle de son nom, Hantaï.  

De même, pourra-t-il dire : « La toile est un ciseau pour moi », lui qui terminera son œuvre en cisaillant, en entaillant ses toiles. La toile, reprise du tablier de travail de sa mère, aura bien été pour lui le ciseau qui lui aura permis la séparation de son objet, objet que recouvre le réel de son nom. Trauma premier s’il en est. Entaille de la main de la Madonne qu’elle glisse dans une ouverture de son vêtement, indiquant son ventre.

Toute l’œuvre d’Hantaï est grosse de ça. De ce qui se travaille sous les jupes des filles et de la beauté qui vient au voile venu le recouvrir. De ce tablier de sa mère, on apprend dans l’une des vidéos projetées sur le lieu de l’exposition, qu’il était, pour les jours de fêtes je crois, repassé mouillé pendant des heures, sa couleur, sa matière se transformant pour rendre, donner une beauté, une qualité que n’offrent pas les tissus les plus précieux. Moire noire.

Notes:
  1. Ce que je peux avancer facilement, puisque je connaissais à peine Hantaï en arrivant à l’exposition. []

Quelle croyance pour l’inconscient?

26 juin 2013 | juin 2013 | RÊVES | , , , , , , , , , , |

la troupe d’un autre monde (rêve du 21 au 22 juin)

« A la piscine avec de nombreux amis, des hommes, que je trouve assez séduisants et c’est réciproque. Je nage sous l’eau. Beaucoup de monde. Arrivée d’une drôle de troupe, tribu, qui vit sous une large tente hexagonale, une yourte. Ils s’installent dans le fond de la piscine, ils sont à l’abri de l’eau et continuent de vivre normalement, interdisant l’accès de la tente aux nageurs. Ils prennent beaucoup de place.

– Au réveil, certains indices de la suite du rêve me donneront l’impression qu’il s’agit avec cette troupe de l’inconscient et de ses habitants. –

Panoramique ger

Ils ont un chef, cérémonieusement, servi par tous les autres. On ne sait d’où ils viennent. Tout signale que leurs coutumes sont très anciennes. Leurs vêtements ont un air folklorique. On ne comprend pas leur langue. Il est d’abord cru qu’ils sont juifs, des juifs venus d’une région du monde lointaine, inconnue, appartenant à un autre temps, ancestral.

Quand ils sortiront de la piscine, je m’approcherai d’eux. Par les bords d’abord puis de l’intérieur.

Leur gigantesque tente posée sur des roues, ils circulent dans la ville, leur extravagant attirail évoquant une parade de cirque ou de gitans. Je me mets à craindre pour eux quand ils s’approchent de quartiers à forte population maghrébine, ce qui pourrait leur attirer des ennuis s’ils sont juifs.

Je m’approche d’eux et interviens. Peut-être pour soigner un petit. À qui je fais peut-être manger quelque chose quand il refusait d’encore se nourrir. Je m’attire donc leur bienveillance. Je me suis servie pour l’aider de la psychanalyse ainsi que de manières de faire qui n’ont rien à voir avec leurs coutumes, dont ils ne savent rien.

Ils arrêtent leur périple et s’installent, un peu en catastrophe, probablement sous mon influence, dans une usine désaffectée d’un coin de la ville où je crains que leur présence ne leur attirent de graves ennuis, toujours en raison du fait que je les crois juifs. Je continue d’intervenir dans leurs coutumes, les initie au monde extérieur. De leur côté ils m’initient à leurs chants et à leurs danses.

C’est là que Frédéric intervient pour me dire que c’est bien moi ça, que c’est incroyable ce que j’arrive à faire, qu’il n’aurait jamais cru que quelque chose d’intéressant puisse sortir de coutumes religieuses (puisque nous pensons que ce sont des juifs, des « juifs anciens »).

Ils décident de vraiment s’adapter (au monde d’extérieur) et choisissent… de faire la vaisselle (je pense que jusque là, ils ne nettoyaient rien, vivaient et d’ailleurs survivaient très bien, sans rien nettoyer). Ensemble ils apportent donc leur vaisselle à l’évier1 où les attend une vaisselle qui n’est pas la leur, assez importante, débordante même, mais qu’ils semblent prêts à vouloir faire, même si je songe que ce n’est probablement pas à eux de faire ça.

Il se passe alors quelque chose qui les pousse à se montrer aux fenêtres2 . Au fond, je crois les avoir initiés au fait qu’ils étaient malvenus, qu’ils couraient du danger. Mais là, ils semblent curieusement vouloir affronter ce danger, soit dans une sorte de courage, soit pour le vérifier, dans un doute par rapport à ma croyance en ce danger. Ils se montrent donc tous aux fenêtres.

Je crains énormément pour eux. Je crains qu’ils ne soient abattus, qu’ils ne se fassent tirer dessus. Je crains une attaque, une invasion de leur hexagone. Et là, au fond, il ne se passe vraiment rien. Il se passe quelque chose de l’ordre d’un rien sidéral. Je crois qu’ils sont vus, regardés de l’extérieur, et que cela se passe dans un moment de sidération, de blanc, d’intervalle, de silence, d’arrêt.

Après ça, il est sûr que ce n’était pas des juifs, mais tout autre chose, d’une langue absolument inconnue. Je me réveille. »

quelle croyance pour l’inconscient?

Je pense qu’il s’agit avec ce rêve de la question de mon rapport à l’inconscient, la question que j’essaie de me poser de ce qu’il faut que j’en fasse, de ce qu’il en est. Et principalement de ce qu’il en est dans ce que j’en fais ici, dans ce blog, et de l’importance que j’y accorde dans ma vie.

S’agit-il d’une croyance que j’entretiens ? S’agit-il d’un croire à l’inconscient ? Faut-il que je me détache de cette croyance ? Que j’y renonce, et renonce à tout ce sens ? Est-ce au sens qu’ici je m’accroche ? Ne fais-je rien d’autre que cela ? Ce sens que comporte une religion, même quand il s’agit d’une religion maudite (qui n’en n’est pas moins mot-dite), religion du rebut, à quoi la religion juive peut s’apparenter de par sa (souvent) tragique histoire.

Que dire de ce que j’apparente dans le rêve l’inconscient au juif, voire la psychanalyse à la judaïté, que je les conçoive comme rejetés et en « dans-G »3 , en danger. Ce n’est pas sans raison, ni sans raison raisonnable. Le réel est jouissance, l’objet a est rebut. S’agit-il dans ce que je fais avec le récit de mes rêves,  d’actes de foi ou d’actes « tout court » ? Le rêve semble pencher pour l’acte de foi. Qu’il vient contredire. Réel, l’inconscient provoque la sidération. Sidération, arrêt, réveil.

J’ai fait ce rêve suite à deux lectures.

« angoisse constituée, angoisse constituante »

L’une de Jacques-Alain Miller sur l’angoisse, un texte autrefois publié ici intitulé « Angoisse constituée, angoisse constituante« . Où il est question de déloger le réel de son habitacle d’angoisse et de le reloger dans l’acte.

La certitude du réel de l’angoisse devenue celle de l’acte, s’extrayant de la place où elle s’était figée dans le fantasme, où elle entretenait une angoisse infinie, une angoisse en désir d’infini, notée aleph, qui est inhibition et refus de la certitude qu’implique le réel auquel elle touche.

Passage de la croyance d’une angoisse dite constituée à la certitude de l’angoisse dite constituante, constituante de l’acte.

La croyance, située donc du côté de l’angoisse constituée, est croyance au fantasme où est venu se réfugier le réel lié à l’angoisse, où il s’est trouvé une petite histoire qui permet de le soutenir comme appartenant au sens, ici opposée à la certitude à laquelle consent l’angoisse constituante. Cette certitude étant folle, c’est-à-dire non liée au symbolique ou à l’imaginaire, d’une langue étrangère qui ne peut entraîner que sidération et dont un acte peut seulement procéder. Ce que les membres de la troupe de mon rêve semble pouvoir seulement démontrer… en se montrant.

Quelle conséquence pour moi ? Je dois dire que je n’y trouve aucun éclaircissement, moi qui me retrouve à nouveau à noter ce rêve, pouvant seulement constater qu’il me semble avoir raison de « croire » à l’inconscient, de « croire » aux interprétations qu’il a la générosité de me livrer la nuit. De « croire » qu’il sait. Que la certitude est de son côté. Cette certitude pour autant me pousse-t-elle à l’acte ? Ou me maintiens-je au contraire dans l’inhibition, cette inhibition « frontière du réel ». Faut-il que je cesse tout cela ?

L’inhibition a un double versant : dépendante du corps, de ses fonctions et de son image, elle semble liée à l’imaginaire. En tant qu’elle indique une limite et un arrêt dans la symbolisation, elle touche au réel. Elle résonne donc avec tout ce qui chez le sujet ne peut trouver un appui dans la représentation. […] Elle est donc ce qui produit de nouvelles représentations à partir de l’imaginaire du corps. L’arrêt même du sujet, dans l’inhibition, lui sert à se « faufiler » sous forme d’image pour figurer, prendre place là où il ne devrait pas être parmi les signifiants.
Dès le début des années soixante, Lacan situe l’inhibition et le désir à la même place.
La Sagna P., Revue la cause freudienne n° 68,   « L’inhibition à savoir »

J’ai toujours « cru » à l’inhibition, toujours cru qu’il devait y avoir quelque chose à en tirer, je me suis sue inhibée, complètement, et j’ai compris que je n’avais pour le moment d’autre chemin que de suivre, me tenir à cette lisière, cette rampe de l’inhibition. Le blog est ce moyen. Le blog, ce blog, est écriture de l’inhibition. Rien ne s’y conclut jamais. Le prisonnier ne quitte jamais la pièce. Mais il témoigne tant qu’il peut de l’existence de l’inconscient, dont je ne peux cesser de chercher à me faire apôtre.

« le croyant et la dupe »

L’autre texte que j’ai lu hier, est celui sur lequel je suis tombée par hasard dans mon ordinateur, dont je ne peux que recommander la lecture, de Marie-Françoise De Munck, intitulé « Le croyant et la dupe »4 :

Ce qui constitue le symptôme, dit Lacan dans RSI, c’est qu’on y croit… Et qu’est-ce que croire, sinon croire à des êtres en tant qu’ils peuvent dire quelque chose…

Le texte de Marie-Françoise, je l’ai parcouru un peu rapidement, puisque ce n’était pas celui que je recherchais, mais j’y suis bien tombée en arrêt sur le paragraphe suivant :

Nous mettrons ici le même écart entre « être dupe » et « se faire la dupe » qu’il y a entre être l’objet du fantasme d’un homme et accepter de s’en faire l’objet cause du désir. Cet écart est celui de l’accès à une place de semblant.
Se faire l’objet du fantasme masculin conduit une femme à cette relation de «ravage» qui caractérise aussi bien la relation mère-fille quand, enfant, elle se fait objet du désir « pervers » de la mère. Tandis qu’accepter de se faire l’objet cause du désir pour un homme, accepter de se prêter à la perversion masculine, souligne l’accès à une place de semblant. Adopter cette place est une façon pour une femme de se faire la dupe du choix de l’inconscient.

C’est sur cette phrase que j’étais allée me coucher, et s’il ne me semble pas que le rêve qui a suivi aie voulu m’en reparler, il me paraissait important d’en faire état. Se maintenir dans une situation de ravage par rapport à la psychanalyse, ou par rapport à l’école qui la représente, se faire objet de la psychanalyse, ou « se faire l’objet cause du désir », se faire « semblant d’objet » pour un analysant ou pour un lecteur… 

Éventuellement donc on aurait:

  • angoisse constituée, loge le réel dans le fantasme : vouloir/croire être l’objet qui manque à l’autre (maternel) + ravage
  • angoisse constituante : ne loger le réel nulle part (sinon en marchepied de l’acte) et accepter (côté femme) de se faire l’objet cause du désir du fantasme d’un homme, accepter de jouer son jeu, accepter cette place de semblant. façon de se faire la dupe de l’inconscient.

Quoiqu’il en soit, ces deux textes me paraissent essentiels.

 

Notes:
  1. qui occupe toute « l’avant-scène », au premier plan de la scène du rêve, juste « devant mes yeux » []
  2. les fenêtres sont sur la droite, occupent le mur de droite []
  3. entendre dans ce G, le point G de la jouissance []
  4. Je ne sais pas du tout comment ce texte est arrivé sur mon ordinateur. Il est possible qu’il aie été publié par la revue Quarto à l’époque où j’y travaillais, ou que Marie-Françoise me l’ait passé, puisque nous étions amies (je ne suis plus en contact avec elle depuis que j’ai quitté Bruxelles. []

Les objets de l’obsessionnel

27 juin 2013 | juin 2013 | Cut&Paste, psychanalyse | |

Conférence clinique sur la névrose obsessionnelle

Philippe La Sagna

26 avril 2007

 

 Je vais parler comme si vous connaissiez bien le cas de l’Homme aux rats, pour examiner avec vous la place des objets dans la névrose obsessionnelle et spécialement de cet objet que l’on désigne comme l’objet a.

Si la psychanalyse a semblé au départ être une stricte pratique de déchiffrage du symptôme et des rêves, elle a peu à peu glissé, spécialement après la 2ème guerre mondiale dans le monde anglo-saxon, vers une étude des relations du sujet à ses objets, et en particulier à ce type d’objet que l’école kleinienne a fait valoir comme les objets partiels.

Derrière cette mise en avant de l’objet il y avait une autre idée : que dans la psychanalyse l’essentiel n’était pas le déchiffrage du symptôme, mais l’analyse du transfert, conçu comme une « relation ». Le transfert devenait le véritable objet de l’interprétation et l’analyse un examen du rapport entre le sujet et ses objets. À travers la relation établie entre le patient et l’analyste, le transfert était le laboratoire de la relation d’objet.

C’est à cette vision de la psychanalyse que s’est opposé le premier Lacan.

Dès le cas de l’Homme aux rats, Freud spécifie que la particularité de la névrose obsessionnelle est que le refoulé y redevient disponible non pas dans le souvenir, mais par le biais d’un retour, d’une réapparition du matériel refoulé à l’intérieur même de la relation transférentielle. La névrose obsessionnelle devient ainsi l’affection où l’analyse de la névrose se déplace aussi vers une analyse du transfert.

L’hypothèse de base de Freud est que l’Homme aux rats avait pu ressentir de la haine à l’égard de son père. Cette haine, n’apparaissant pas dans ses souvenirs, n’entraînait donc pas chez le patient de « croyance suffisante ». Le seul souvenir de ce type que Freud obtient est celui d’une colère de l’Homme aux rats, colère où il injurie son père en le traitant de « Lampe, serviette ». Cette tendance à l’insulte se déploie dans la relation de l’Homme aux rats à Freud et va entraîner la conviction du patient, qui, insultant Freud et sa famille ne pourra plus douter de sa haine à l’égard de son père.

Freud revient sans cesse sur la vraie raison de l’hostilité du patient : le père trouble la sexualité de l’Homme aux rats. Cette sexualité est d’ailleurs assez trouble. L’homme aux rats a une vie sexuelle et amoureuse banale mais ce qui le trouble c’est que cette sexualité existe aussi à travers une multiplicité de tendances ou de pulsions partielles. Cette sexualité se manifeste d’abord comme une curiosité, sous forme de voyeurisme. Dès son plus jeune âge, l’Homme aux rats veut voir des femmes nues et il en voit, ses bonnes par exemple. Même si ce qu’il voit n’est pas clair, étrange, curios ! Voir est du côté du désir, pourrait-on dire en reprenant ce que Lacan amènera à la fin des années 60 : le désir de l’Homme aux rats c’est de « voir le désir », le rendre visible, le situer ainsi dans la représentation.

On peut le dire autrement car il y a un lien entre la curiosité et le désir. Voir ou savoir le désir, c’est un désir aussi, un désir de « savoir ce qu’il y a ».

L’envers de ce désir est une angoisse. L’angoisse que l’Autre sache le désir que lui, le sujet, a, qu’il sache alors ce désir, ou la pensée de ce désir. Mais ce qui est l’angoisse majeure, c’est qu’il arrive quelque chose à son père « à cause » de ses pensées de désir. Quelque chose qui serait la conséquence de sa curiosité, quelque chose qui ne peut pas très bien être su. On voit ici un premier nœud se constituer entre le regard, le savoir et le désir.

L’objet rat, c’est l’objet qui va incarner cette angoisse, qui va donner forme à ce quelque chose de non-su et qui va donner son nom au patient. Autant la relation du sujet à la curiosité sexuelle est claire, autant sa relation à l’objet rat est imprécise, floue voire obscure. À ce niveau, on rentre dans le domaine d’une certaine inquiétante étrangeté. Le rat est l’animal le plus familier du sujet et aussi le plus étrange. Il y a là quelque chose que le sujet ignore. Vous remarquerez que c’est l’envers du savoir. Le rat incarne non pas ce que l’on peut voir ou savoir, mais ce que l’on ne fait qu’ignorer : quelle est l’obscure volonté, le vouloir d’un mort ou d’une femme ? Qu’est-ce que l’Autre veut, non pas qu’est-ce ce qu’il sait, mais quel est son véritable appétit ?

Dans la névrose obsessionnelle, le trauma n’est pas quelque chose d’oublié, simplement il est devenu neutre, le souvenir a été « dépouillé » de sa charge affective, charge qui va se déplacer ailleurs. C’est typique par exemple de la forme même du deuil de l’Homme aux rats. Et c’est là qu’intervient ce que nous disions sur le transfert. L’idée de Freud est que seul le transfert permettra à l’affect de refaire surface.

C’est-à-dire que le transfert va redonner aux choses un enjeu, une valeur, une émotion, une résonance et permettre à l’obsédé de sortir de l’indifférence. Dans la cure de l’obsessionnel, la question est : va-t-on réussir à obtenir du patient une certaine mise ?

L’Homme aux rats, dans le transfert, ne peut se soustraire à l’effet convaincant de l’analogie complète entre les fantasmes de transfert et la réalité oedipienne « de naguère » que pose Freud. Mais quelle est la réalité de naguère ? De quoi est faite la sexualité de l’homme aux rats ? Freud la réduit à peu de choses : un mélange d’autoérotisme et d’action dont le sujet a retiré une satisfaction. Cette action, qui est une constante de la névrose obsessionnelle, est opposée à la passion hystérique, qui n’agit pas mais subit. C’est une action qui comporte une part de destruction que Freud qualifie de sadique.

Ce sadisme est un trait qui va venir moduler la relation du patient à tous ses objets. Par exemple il y a le sadisme oral du rat qui mord et qui est aussi cannibale. L’Homme aux rats avait mordu une petite fille à 3-4 ans. C’est même là qu’il a été châtié par le père. On doit noter que c’est donc cet attentat supposé qui serait la source potentielle de la haine du patient.

Le « cannibalisme » du rat pour Freud ne peut que résonner avec ce qu’il va écrire dans son livre Totem et Tabou. Derrière les rites obscurs du tabou si proches de la névrose, vous trouverez toujours le meurtre du père/totem et sa dévoration. N’oublions pas aussi que Freud voit là la source de la morale et de la religion. Pourquoi suite au meurtre du père faut-il en plus le dévorer ? Pourquoi ce mixte de pulsion de mort et d’oralité ? On dévore pour s’assimiler, s’identifier au père et à l’animal dans une confusion et une identité propres à cette faculté orale de rendre équivalente des choses hétérogènes. Le cannibalisme est le lieu où commence autre chose que l’oralité.

A partir de cette épisode, morsure, punition et haine du père peuvent être mis en relation.

A partir de là, le cas, comme le transfert, peuvent être regardés selon le principe de la chauve-souris. Si vous regardez les ailes d’une chauve-souris, c’est un oiseau. Si vous regardez ses pattes, c’est une souris[1]. Si vous regardez les ailes du cas, il se résume à un drame œdipien, la haine vient des relations troublées avec le père. Si vous regardez ses pattes, tout cela trouve sa racine dans le sadisme qui teinte la relation du patient aux objets et qui ressort à la jouissance primitive. Et la théorie rendra compte de ça par l’hypothèse d’une « défusion » entre les pulsions de vie et les pulsions de mort, entre l’amour qui unit et assimile et la haine qui détruit. Cette défusion pulsionnelle dispose le sujet à la névrose obsessionnelle, souligne Freud en 1919.

L’ambivalence adressée à l’Autre paternel trouve-t-elle son ressort dans la relation originaire du sujet à l’objet dont le sadisme comporte la destruction de ce dernier ? Prendre les choses ainsi peut mener les analystes à chercher partout à éliminer l’agressivité !

Examinons maintenant la composante anale de cette relation à l’objet. C’est cette relation anale particulière qui est stimulée, réveillée, par le simple récit du supplice des rats. Le rat, en effet, n’est pas que dévorant, il est aussi le représentant de ce que Freud désigne comme « cruauté égoïste et sensuelle » (il en jouit) qui est l’un des noms de la jouissance auto-érotique du sujet. L’analité va nouer l’érotisme à l’égoïsme comme au sadisme, mais aussi au narcissisme, en tant que la cruauté est égoïste. La cruauté se passe de l’Autre, pis elle le détruit. Et on retrouve là la satisfaction solitaire supposée à l’origine de la névrose pour Freud.

Solitaire veut dire sans l’Autre, soit sans le lieu du symbole ou sans le savoir qui permettrait à cette jouissance d’être représentée. Et l’ « Autre » de cette satisfaction n’est rien d’autre que le signifiant qui la représenterait, s’il existait, mais qui ne peut apparaître lui aussi que légèrement étrange et inquiétant, reflet symptomatique de son opacité[2].

La jouissance étant irreprésentable, ce signifiant qui saurait représenter la jouissance de l’Homme aux rats, cruelle, sensuelle et égoïste (soit le grand Phi) est une fiction. Comme il n’est pas dans l’Autre, quelque chose va faire semblant de ce signifiant, ombre de la jouissance inquiétante, ici le rat, substitut impropre et dévalué de ce signifiant qui menace le sujet.

Mais l’analité détruit l’objet par bien des façons, plus diverses que celles de l’oralité. Dans son Séminaire L’angoisse, Lacan note que l’objet anal est l’objet cessible par excellence, il est aussi l’objet échangeable par excellence, le représentant même du commerce. Là où les objets oraux sont les objets que vous êtes, l’objet anal confond les objets dans l’avoir. C’est ce qu’opère l’échange : si la valeur d’usage rend un objet incomparable, la valeur d’échange les rend tous équivalents. C’est un des sens du rat : tous les rats se ressemblent, ils se multiplient, ils envahissent la scène.

L’objet cessible c’est ce qu’on cède et c’est aussi le représentant du moment où, emporté par la jouissance, vous cédez comme sujet à la « situation », quand vous ne pouvez plus vous empêcher. Ça c’est l’Homme aux loups qui nous l’apprend. Lacan dans une partie du Séminaire L’Angoisse que J.-A. Miller a intitulée « De l’objet cessible » nous dit que le sujet « cède à la situation » (la scène primitive) et plonge dans la jouissance anale ; c’est le moment où l’Homme aux loups ne tient plus sa subjectivité, elle cède, et il devient lui-même l’objet anal, a[3]. Il fait cession de son statut de sujet, produit dans l’angoisse un objet cessible, une selle, et disparaît comme sujet en se transformant en l’objet qui le représente : face à la jouissance, il abdique. L’objet anal l’efface, vient à sa place.

Vous voyez que là il y a une touche masochiste plus que sadique. La source de l’analité est masochiste. C’est la chute, mais une chute qui en révèle une autre : le moment ineffable d’avant le sujet où quelque chose de ce qu’il est vient à chuter. Au passage, je signale que ce qui chute du sujet c’est l’objet anal, par contre ce qui chute « avec » le sujet c’est autre chose, c’est l’objet oral (quand vous lâchez le sein, c’est votre être que vous abandonnez, ainsi les boulimiques disent très bien comment dans les crises, leur être est emporté par la jouissance orale).

Et déjà, vous saisissez que le sadisme ce n’est pas la douleur, cela a à voir avec ce que le sujet peut mettre en jeu de son être de vivant, dans l’exploit par exemple, tentative de se tenir, comme le souligne Lacan, suspendu, au bord de la chute, face au trou insondable de ce que Lacan appelle « la gueule ouverte de la vie »[4], celui de son appétit dévorant ! Qu’est-ce que veut la vie ? Dévorer !

Et le vrai appétit oral, c’est celui qui se transfère de cette faim obscure et qui porte sur le savoir, la curiosité dévorante qui trouve ses racines dans l’oralité. Vous voyez que nous sommes non pas dans une progression des objets qui mènerait de l’oral à l’anal mais dans une ronde infernale où l’obsédé est un témoin, un rat dévorant et dévoré.

Si l’objet anal est corrélé au narcissisme, c’est aussi que la tendance à détruire, corrélée à sa défense, produit la tendance à retenir, à garder, à conserver. Et c’est là une fonction du narcissisme : ça conserve.

L’objet anal, c’est aussi pour Freud qui le tient des obsédés : les enfants, le pénis, l’argent. Toute chose à garder ou à détruire, à perdre plutôt. C’est là où pour Freud se rencontre la dialectique de l’objet et celle de l’Œdipe sur le plan anal : la faute du père c’est de n’avoir pas soldé la dette de jeu. La dette de jouissance du père c’est de n’avoir pas payé. La jouissance anale croise l’Œdipe, d’où le mariage et la dette impayée à la fille pauvre (puisque le père a épousé la fille riche), à quoi vient répondre la dette impossible à régler qui porte sur les lorgnons.

Lacan n’a pas cessé de souligner le danger qu’il y avait à entériner la « fixation » obsessionnelle de l’obsédé sur le terrain de l’analité, il en est de même pour la destructivité.

Vous pouvez le faire soit en validant son agressivité dans le transfert ou en la réduisant en l’interprétant par le ressort anal (« vous ne voulez pas payer », « vous voulez tout salir »). C’est une erreur, car c’est le meilleur moyen de ne pas en sortir. Lacan a d’abord souligné que l’erreur, c’était de fixer le sujet à une demande. L’objet anal est supposé être ce que l’Autre demande. Et ce que l’Autre demande, la demande comme objet, permet d’ éviter la question de ce qu’il veut !

Lacan a fait beaucoup d’effort pour déplacer vers le domaine du phallus l’enfer prégénital des post-freudiens.

Freud avait posé que : « La signification phallique des rats reposait sur l’érotisme anal ». L’analité est le socle du phallus, qui va donner à l’angoisse de castration son accent propre, celui de retenir ce phallus et de le donner, une bonne façon de le garder étant de l’être, puisqu’en l’étant le sujet peut le donner tout en le conservant.

Bouvet, évoqué par Serge Cottet, contemporain de Lacan, pensait que l’obsessionnel avait peur de détruire le monde ou que le monde se détruise. Serge Cottet montrait que cela avait beaucoup fait pour que l’on confonde psychose et obsession. En réalité, l’obsessionnel a peur de détruire l’Autre. Dans le Séminaire V, Lacan nous dit : « il est bien certain que l’obsessionnel tend à détruire son objet ».

Lacan montre aussi que dans le désir, l’Autre est nié. Il y a de l’informulable dans le désir et donc le désir nie l’Autre comme lieu où ça se sait et se symbolise.

Et l’Autre pour persister devra alors paraître « comme réduit à une demande » c’est-à-dire ayant subi une mortification de son désir opérée par le signifiant, qui fait de la demande une demande de mort. Le rat c’est aussi cette mortification. L’obsessionnel mortifie ses partenaires, par exemple en voulant symboliser leur désir (qu’elles lui disent ce qu’elles veulent) ou en le ravalant (elle veut une robe Prada : il y a la même chez H&M, beaucoup moins chère !). Par là, il obtient rapidement que la demande de sa partenaire se transforme en demande de mort, à savoir qu’elle se transforme en bourreau intraitable, en fauve…

Pour contrer cette mortification, l’obsessionnel fera tout pour faire exister un Autre que Lacan va désigner comme le phallus absolu à qui il faudra démontrer ses bonnes intentions ! C’est ce que fait l’Homme aux rats en s’exhibant face au fantôme de son père mort. Les bonnes intentions ressemblent souvent à des mauvaises !

Pour se faire pardonner, le sujet devra réaliser divers exploits. Il sera ainsi lui même suspendu au dessus de la gueule ouverte de l’Autre dans un défi qui n’a d’autre intérêt que de maintenir la fiction de l’Autre. Ses défis transférentiels s’expliquent par là.

La deuxième opération que propose Lacan, c’est plutôt de montrer au sujet que ce qu’il veut détruire n’est au fond ni l’Autre, ni son désir, ce que l’Autre veut, mais plus simplement le signe de ce désir. C’est le phallus qui est visé et au fond, le phallus qui est le sujet lui-même. Ce que l’obsessionnel traque et chasse comme le rat, c’est le signe du désir. Ce à quoi il œuvre par là, ce n’est pas détruire l’Autre mais bien à le faire céder sur son désir en lui en refusant le signe. Le contrat, la réciprocité sont ici des instruments.

Cela comporte aussi le fait de ravaler, d’abaisser, de dévaluer la singularité du désir. Et là, on retrouve l’influence de l’analité et de l’objet cessible : le rat est un florin, tant de rats, tant de florins. Mais au fond, l’économie montre aussi que tout peut se réduire à des florins et des rats ! L’objet cessible ravale en rendant identique.

On pourrait dire qu’aujourd’hui, le désir est évalué, apprécié, chiffré, en réalité c’est la même chose. C’est exactement ce qu’opère l’Homme aux rats avec son père quant il le fait égal à une lampe et une serviette, il le réduit au cessible.

Il y a un lien entre l’obsession et la culture : à la fois elle sauve le monde et le conserve mais en faisant tout communiquer dans le semblant, elle le réduit à l’égout où finissent ses produits !

C’est ce que l’on risque de faire à trop s’intéresser aux fantasmes transférentiels de l’obsédé, on risque de faire proliférer la vermine et d’effacer le désir dans l’équivalence de tout. Il s’agit de ne pas trop écouter, de changer de sujet.

Lacan souligne en effet dans son Séminaire L’angoisse qu’on peut situer le souci de Freud de restituer l’affect à partir de l’objet véritable, c’est-à-dire à travers l’objet d’angoisse par exemple. L’objet d’angoisse est au-delà du cessible, il n’a pas de représentation.

Ce qui est difficile, en effet, c’est de faire apparaître dans le transfert l’objet en jeu dans le désir et non un simple substitut de celui-ci. Si les objets sont tous équivalents, s’ils se valent, pourquoi jouer sa mise, pour le sujet, si l’on peut parier avec du semblant. Lacan souligne que le névrosé n’offre de lui-même qu’un substitut, un semblant, un autre lui-même, son double. Ce dont il se plaint est vrai : s’il est obsédé, il n’est jamais vraiment là, il regarde, il observe, il est toujours déjà ailleurs, comme le héros de Prison Break.

Plus qu’un autre, l’obsessionnel nous montre et nous confie ses « agalma » pour mieux garder ses « palea », ses objets cause du désir. Il nous confie ses désirs, pas leur cause. Et même pour le symptôme, Lacan dira que la bonne façon de l’attraper, c’est de l’attraper par les « oreilles » de la cause, par la face énigmatique où l’on ignore de quoi le symptôme est le résultat, de quel désir.

C’est ce que Freud va obtenir dans un rêve de transfert où l’Homme aux rats, son patient, voit deux crottes à la place des yeux de la fille de Freud. Déjà, on peut remarquer que cela opère un lien entre la curiosité, le regard, et l’objet anal, voire les lorgnons. C’est un peu la clef de la cure avec aussi son imperfection.

Lacan souligne aussi que l’objet anal, ce n’est pas tout à fait l’objet de l’angoisse, ni celui du désir. L’angoisse produit un émoi du corps, émoi qui a pour effet de produire l’objet anal. Ce qui d’ailleurs permet de confondre l’émoi et son effet avec l’objet a. L’émotion transférentielle restitue l’objet a, le met en jeu mais elle ne permet pas forcément l’accès à l’objet a. Ce que le sujet tente désespérément de retenir dans une inhibition fondamentale, c’est l’objet de ses émois, et son émoi, et cette lutte le tiennent en deçà de sa véritable angoisse. Il n’est pas sûr que l’Homme aux rats ait eu le temps au reste de la rencontrer.

Á vouloir vérifier l’émoi du transfert, on risque donc aussi laisser de côté la cause « véritable » du désir et l’objet de l’angoisse. Alors comment permettre à l’obsédé de sortir de cet affreux commerce avec ses objets ?

Comment ne pas lui faire croire que l’Autre qui peut solder son désir existe ?

Comment lui permettre d’accéder à l’ingratitude qui lui ouvre la porte de la prison de ses demandes, prison que vous construisez à ne rien lui renvoyer ?

Comment le faire renoncer au fantasme de la toute-puissance du regard, sans le fixer pour toujours au ravalement général qu’opère l’objet anal ?

A la fin des années 60, dans son Séminaire XVI, Lacan nous montre que l’obsédé veut savoir, comme tout névrosé, c’est cela la curiosité mais c’est aussi cela, la jouissance égoïste. Car il veut savoir les rapports de la jouissance et du savoir.

Ce n’est pas seulement le désir qui ne peut être représenté, c’est surtout la jouissance et au-delà, c’est elle qui est interchangeable et que l’analité tentera toujours de ravaler.

L’Autre désire, certes, mais il inquiète en tant qu’il veut jouir, ce qui n’est pas la même chose que l’Autre qui sait. Ces deux termes s’opposent et cependant, pas moyen de faire exister l’un sans l’autre. Tous les traumas et tous les fantasmes montrent cette disjonction entre un Autre idéalisé et sa jouissance, entre le père idéal ou la dame et le rat, ici représentant cette jouissance.

 

a (rat) //A idéalisé (Un)

 

Ce que l’obsédé préserve et ce qu’il ne parvient pas à préserver c’est l’Autre de la jouissance. La demande de mort n’est qu’une façon d’opérer cette séparation entre l’Autre qui sait ce qu’il veut et la jouissance de la vie qui veut de façon plus obscure.

C’est là le sens vrai de l’isolement obsessionnel comme de la séparation de l’affect et de la représentation.

Et cela s’écrit a//S2.

Si l’analyste n’était que le dépositaire ou le lieu du dépôt de l’objet transférentiel, il accepterait de faire croire à la vérité de ce qui n’est qu’un substitut de la cause du désir ou de la jouissance à mettre en jeu.

Le transfert, ainsi, n’est pas faux amour ou fausse haine, mais amour du vrai qui cache un mensonge sur le sexe et la jouissance.

Ce qui permet la sortie c’est de faire que le savoir inconscient mis en jeu produise un objet qui entretienne des rapports nouveaux avec le savoir. Cet objet n’est pas l’inverse du savoir mais son envers : a/S2. Cela suppose que l’obsessionnel renonce à ses doutes pour retrouver dans l’angoisse cet objet qui a pour socle un certain savoir, un savoir inconscient. Mais ce savoir est rongé par la vérité, il se présente comme un certain savoir, des bouts de savoir, qui, à un moment suffisent à faire cesser l’ob-cession. Car il y a bien refus de la cession véritable qui aussi est refus de céder l’objet pour le laisser devenir le simple représentant d’un savoir fait d’amorces, de débuts, de commencements. Un savoir qui comme nous l’a montré Jacques-Alain Miller est un savoir qui ne fait que commencer !

Ce qui est à retenir, c’est que l’objet qui permet la solution du transfert est un objet nouveau, produit certes par la répétition, mais il en représente cependant la limite car il est création, nouveauté, comme tout produit d’un amour véritable.

 

DISCUSSION

Esthela Solano J’ai beaucoup apprécié l’exposé de Philippe La Sagna, et ce qu’il a apporté comme lecture inventive de l’Homme au Rats et des objets a en cause. Cette lecture permet de mettre en avant la fonction de l’objet anal chez l’obsessionnel, qui se trouve solidaire de sa défense, à l’avant-poste de celle-ci. Ce que l’obsessionnel cède à la demande de l’Autre, il le cède comme le lézard cède sa queue, pour se mettre à l’abri, pour se défendre contre l’angoisse du désir de l’Autre et ne pas céder ce qui est son véritable objet, l’objet de l’angoisse, l’objet a cause de son désir. Cela éclaire alors cet avertissement de Lacan, selon lequel il ne faut pas « fixer l’obsessionnel à sa chiasse » en validant le fantasme de transfert, ou surtout en cédant à sa demande du phallus. Cela comporte, comme l’a souligné Philippe La Sagna, ne pas le laisser dire trop de bêtises, ne pas lui céder les significations qu’il demande ni recevoir – ou être en position d’attendre – les tonnes des significations qu’il nous cède. L’obsessionnel est gourmand de savoir, il en consomme, mais ensuite cela suit le circuit, la ronde infernale de l’objet, c’est-à-dire que le savoir lui même prend la valeur de l’objet de la demande, de l’objet que l’on accumule, que l’on comptabilise, que l’on retient. Le savoir se « ratifie » à la place de l’objet. C’est pourquoi il s’agit de ne pas faire consister l’objet anal.

De ce fait, concernant la question de la direction de la cure, il convient d’insister sur la valeur fondamentale de la dimension de l’acte. Il y a deux versions de l’analyste : celle que décrit Georges Pérec, un analyste mortifié, standardisé, ritualisé, qui se moule à la défense obsessionnelle, et l’analyste qui se fait agent de l’acte, à la place de l’objet angoissant, qui aura une chance de faire surgir le véritable objet en jeu, en produisant une cession non de l’objet, mais de l’angoisse.

Il y a deux valeurs du rapport entre le savoir et l’objet selon qu’on les place à partir des mathèmes des quatre discours :

Dans le premier cas évoqué ici, l’obsessionnel qui produit de l’objet à partir du savoir, nous pouvons nous servir de l’écriture de la partie droite du discours du maître : l’objet disjoint du savoir vient à la place du produit : S2/a

En revanche, l’écriture de la partie gauche du discours analytique fait valoir l’advenue d’un nouvel objet à la place de l’agent, avec le savoir en place de vérité : a/S2.

Question dans la salle Si l’objet anal voile l’objet véritable, quel est-il ?

Philippe La Sagna Les objets font des ponts. J’ai opposé le drame œdipien et l’objet et montré que chez Lacan, ils sont noués. Ce que Lacan conclut dans le séminaire de l’angoisse, qui est au fond un séminaire sur la névrose obsessionnelle, c’est que dans la cure de l’obsessionnel, ce qui permet de sortir, c’est l’objet voix. C’est un autre Nom-du-Père. Lacan retient du sacrifice du Père son cri (cf. le shofar), et ce sacrifice est toujours déjà fait.

Esthela Solano L’objet le plus occulte c’est l’objet voix. Il est caché par les objets de la demande et aussi par le champ scopique. L’objet voix se trouve à la source de tous les commandements de l’obsessionnel. On sait depuis Freud que les commandements du surmoi se trouvent à la racine des compulsions chez l’obsessionnel. L’issue de la cure passe par là, par la mise au jour de la voix qui commande et qui pousse à jouir.

Philippe La Sagna Qu’est-ce qui fait l’autorité du maître ? C’est son énonciation. C’est pour cela que l’obsessionnel est un faux maître. Mais user de la voix va permettre à l’obsessionnel d’avoir un autre rapport à l’autorité. Cette place de maître est nécessaire pour l’analyste, qui sait que c’est un semblant. L’obsessionnel ne veut pas l’occuper parce qu’il pense que ce n’est pas du semblant.


[1] « Je suis Oiseau ; voyez mes ailes […] Je suis Souris : vivent les Rats ! » in J. de La Fontaine, «La Chauve-souris et les deux belettes », Folio, Gallimard, Paris, 2005.

[2] « L’altérité première, celle du signifiant, ne peut exprimer le sujet que sous la forme de ce que nous avons appris dans la pratique analytique à cerner d’une étrangeté particulière. » J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre, Seuil, Paris, 2006, p. 312.

[3] J. Lacan, Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Seuil, Paris, 2004, p. 361-362.

[4] J. Lacan, Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert,, Seuil, Paris, 2001, p. 361-362.

 

L’hypothèse de l’inconscient est à vérifier dans chaque cure

29 juin 2013 | juin 2013 | Cut&Paste, psychanalyse | , , , , , |

Le croyant et la dupe

Marie-Françoise De Munck

Le thème de cet atelier sur les manifestations résiduelles n’est pas un thème facile à traiter car le matériel clinique se rassemble essentiellement par ce qui est recueilli dans les travaux sur la clinique de la passe. Face à cette difficulté, j’ai choisi de l’aborder par la question du destin de la «croyance » dans la cure. Je vous propose ce binôme « le croyant et la dupe » en écho à celui qui nous rassemble « le curable et l’incurable ».

La croyance, elle est au départ, elle s’établit à l’entrée en analyse et elle est exigible même.

Il s’agit bien sûr de la croyance dans l’inconscient, la croyance au symptôme. Croire à son symptôme, c’est supposer au symptôme un sens, le symptôme veut dire quelque chose qu’il appartient au dispositif de la cure de mettre au jour.1

 » Ce qui constitue le symptôme, dit Lacan dans RSI, c’est qu’on y croit… Et qu’est-ce que croire, sinon croire à des êtres en tant qu’ils peuvent dire quelque chose… »

Dans ce remarquable resserrement de ce qui fait le mouvement de toute croyance, se loge la fonction du message à déchiffrer et donc aussi de tous les déchiffreurs, interprètes de ces messages : les pythies, devins, exégètes, conteurs et autres… Une série dont dans ce cas, l’analyste fait partie.

Au départ donc, « quiconque vient nous présenter un symptôme y croit ». Il y croit et  par-là se fonde le transfert comme adresse au sujet supposé savoir.

La croyance dans l’inconscient est aussi ce qui sensé fonder le lien des analystes entre eux. Lacan ne dénonçait-il pas chez les analystes de l’IPA le refus de croire en l’inconscient pour se recruter ? Cette nécessité pourtant est aussi ce qui entraîne dans l’opinion commune, une suspicion à l’égard de la psychanalyse. Si les communautés analytiques peuvent apparaître comme des sectes, c’est en raison de ce qu’elles partagent seulement des croyances. Dans la psychanalyse, comme dans la science, la foi précède la preuve. L’hypothèse de l’inconscient est à vérifier dans chaque cure.

Que devient cette croyance qui est à l’entrée en analyse ? Que devient-elle si le trajet d’une cure se résume ainsi : de la croyance au symptôme à l’identification au symptôme ? Voilà sans doute une formule rapide mais qui nous permet de mettre l’accent sur une modification essentielle dans le rapport du sujet à son symptôme. Nous entendrons ici dans l’identification au symptôme que le sujet cesse d’y croire, cesse d’attendre qu’il dise quelque chose. On ne peut évidemment cesser d’attendre qu’il dise quelque chose qu’à partir du moment où ce symptôme a dit ce qu’il avait à dire, qu’il a épuisé le sens qu’il portait. Le temps de la cure a réduit l’inconscient à quelques jalons, quelques traces dont la jouissance (j’ouie-sens) se déprend. C. Soler va jusqu’à parler de fermeture de l’inconscient, désabonnement de l’inconscient, silence de l’inconscient… Autrement dit encore, à suivre A. N’Gyen, cette identification au symptôme fait ex-ister l’inconscient en le situant hors de soi. Il ne s’agit plus alors de croyance mais bien d’une certitude qui se dépose au terme de la cure. Désormais l’inconscient ex-iste et c’est cette certitude qui se vérifie dans la passe. C’est même, pour reprendre ici un mot de Patricia Seunier au cours de nos rencontres préparatoires, ce qu’il y a d’incroyable au terme de la cure ! La vérification des effets de l’inconscient aboutit à un effet de surprise dont les passants sont déroutés. Il y a un effet de rupture.

Ils sont déroutés, ils quittent la route, la voie, ce qui ne veut pas dire qu’ils errent car, précisément, à suivre Lacan, ceux qui errent sont ceux qui croient au voyage. « Les non-dupes errent » sont ceux qui se refusent à la capture du langage et il y a un imaginaire qui soutient l’existence des non-dupes, c’est que la vie est un voyage, un voyage qui va de la naissance à la mort. Ceux qui ne sont pas dupes de l’inconscient croient dans la voie, dans le sens du voyage. Les non-dupes du coup n’en sont pas moins des croyants.

Nous pouvons maintenant faire avec Lacan un pas supplémentaire, celui qu’il fait dans le séminaire de 1973-74  sur « les non-dupes-errent ».  Lacan nous y propose « une toute autre éthique, une éthique qui se fonderait sur le refus d’être non-dupe, sur la façon d’être toujours plus fortement dupe de ce savoir, de cet inconscient, qui en fin de compte est notre seul lot de savoir … il faut être dupe c’est-à-dire coller à la structure ». (13/11/73). Être dupe de l’inconscient désigne la discipline du déchiffrage, la fidélité à la lettre, à la sériation, au pas-à-pas de la lecture. Le trajet de la cure est donc un parcours qui place au départ la croyance et qui ne mène pas à l’incroyance, mais à une certitude, à un consentement à la structure qui est aussi ce qui peut mener au « pur Réel » selon le mot de la fin de ce séminaire : « en se faisant la dupe, nous pouvons nous apercevoir que l’inconscient est sans doute dysharmonique, mais que peut-être il nous mène à un peu plus de ce Réel qu’à ce très peu de réalité qui est la notre, celle du fantasme, qu’il nous mène au-delà : au pur Réel ».2

De la croyance à un message à la rencontre d’un réel silencieux, cause de toute parole.

Le croyant et la dupe alors ?

Ce titre n’emporte pas seulement une clinique du trajet de la cure du croyant à la dupe, mais aussi une clinique de la différence sexuelle.

Je ne vais pas revenir ici sur ce que la croyance religieuse doit à la névrose obsessionnelle, point que Freud a largement développé. Mais, avec Lacan, dans le même temps où il articule la croyance dans le symptôme, il fait d’une femme un symptôme pour l’homme. Si la femme est un symptôme pour l’homme, c’est assurément un symptôme auquel il croit. Qu’il y croie ou qu’il la croie n’aura pourtant pas la même portée.

Il y croit dans la mesure ou elle présentifie, donne corps à l’inconscient qui a orienté son choix. Il y croit dans la mesure où elle peut dire quelque chose de cet inconscient dont il jouit dans le rapport avec elle. Il y croit en tant que symptôme et c’est là que la croire, croire ce qu’elle dit peut faire bouchon…le bouchon même de l’amour.

Toute une clinique de la relation amoureuse peut se développer à partir de là.. Car à partir du moment où une femme en vient par trop à incarner la voix surmoique de l’inconscient pour un homme, différentes réponses sont possibles :

Soit elle devient une obsession qui le harcèle, soit il lui faudra la faire taire (et les dispositifs dont peuvent user les hommes pour ne pas entendre leur femme(s) sont variés), soit il lui faudra la contrôler, surveiller ses moindres propos, tous ses faits et gestes…Nous sommes en plein dans la dimension paranoïsante de l’amour. « Qu’il la croie ramène l’amour à sa dimension comique, le comique même de la psychose » (21/1/75).. car le psychotique, ses voix, non seulement il y croit mais surtout il les croit ! Cette croyance de l’homme lui fait croire qu’il y a La, qu’il y a La femme. Et pourtant, interroge Lacan, il faut se demander si pour y croire, il n’est pas nécessaire de la croire.

On y croit tellement donc, que si d’un côté des hommes s’acharnent à faire taire leur partenaire, d’autres s’escriment au contraire à les faire parler, par la force si on pense aux méthodes dont a usé l’Eglise… ou de manière plus douce, par la supplication : « …depuis le temps qu’on les supplie, qu’on les supplie à genoux – je parle des analystes femmes – d’essayer de nous le dire, eh bien motus ! On n’a jamais rien pu en tirer. » (Encore p. 69) Dans ce séminaire Encore, Lacan ouvre de nouvelles voies par une véritable profession de foi. Après avoir fait l’éloge des écrits des mystiques, il dit ceci : « Vous allez tous être convaincus que je crois en Dieu. Je crois à la jouissance supplémentaire de la femme en tant qu’elle est en plus… »

Ici se dégagent d’autres perspectives pour les manifestations résiduelles dans le champ de la croyance !

Ce qu’il dit bien sûr n’engage que lui, mais tout de même, la fin de l’analyse ne se corrèle-t-elle pas à un aperçu sur le « pas-tout » de la structure ? Ce champ là, où se situe la jouissance féminine ne va pas sans dire. Sans la croire tout à fait, ou plutôt  toute « a » faite  peut-être la fin de la cure pour un homme peut-elle l’amener à « y entendre » quelque chose. Ceci dans la mesure où Lacan met en évidence une affinité entre le pas-tout de la structure, son réel et la position féminine.

 Et du côté femme ?

Là où l’obsessionnel se porte caution de l’Autre, c’est le Sans-Foi qui caractérise l’intrigue de l’hystérique, c’est-à-dire un « ne pas y croire ». A faire d’elle-même le point de référence, le lieu de la Vérité, elle déstabilise toute croyance dans la parole du Maître.

Mais si Lacan a pu insister sur le côté sans-Foi de la position hystérique, il a aussi souligné que la dupe est bien du féminin, même si cet accent s’efface quand il passe au pluriel des « non dupes errent ». De quel genre est non-dupe ? Ce mot, la dupe, renvoie à la stupidité de l’oiseau appelé « huppe » quand il, ou plutôt elle, se laisse prendre au piège. Le dictionnaire (le Littré) fait en tout cas valoir cet accent sur le féminin en corrigeant un M. La Fontaine qui fait un usage erroné du mot en le mettant au masculin !

Pour accentuer encore le paradoxe, Lacan retire de sa consultation des dictionnaires une citation de Chamfort : « Une des meilleures raisons qu’on puisse avoir de ne se marier jamais c’est qu’on n’est pas tout à fait la dupe d’une femme tant qu’elle n’est pas la votre »… Tant qu’elle n’est pas votre femme, ou votre dupe ? Dans le mariage, la duperie est réciproque !

Si ceci s’inscrit dans le fil de l’homme croyant jusqu’à la duperie, qu’en est-il côté femme ? De quoi les femmes sont-elles dupes ?

Ici, le Petit Robert que j’ai consulté, nous apporte une réponse en forme de citation, de Balzac celle-ci : « Les femmes sont constamment les dupes et les victimes de leur excessive sensibilité ».

Alors, les femmes sont-elles dupes d’elles-mêmes ?
Sont-elles dupes de rester pour elles-mêmes leur seule vérité ?
Sont-elles dupes de cette jouissance qu’elles éprouvent mais dont elles ne savent rien et ne peuvent rien dire ?
Sont-elles dupes de l’amour dont le discours et la lettre les entraînent au-delà de l’aimé ?
Sont-elles dupes de l’homme par l’inconscient duquel elles sont choisies ? Là, c’est ce que donnerait à penser le ravage que peut à l’occasion devenir la relation avec un homme.

 Nous mettrons ici le même écart entre « être dupe » et « se faire la dupe » qu’il y a entre être l’objet du fantasme d’un homme et accepter de s’en faire l’objet cause du désir. Cet écart est celui de l’accès à une place de semblant

Se faire l’objet du fantasme masculin conduit une femme à cette relation de « ravage » qui caractérise aussi bien la relation mère-fille quand, enfant, elle se fait objet du désir « pervers » de la mère. Tandis qu’accepter de se faire l’objet cause du désir pour un homme, accepter de se prêter à la perversion masculine, souligne l’accès à une place de semblant.  Adopter cette place est une façon pour une femme de se faire la dupe du choix de l’inconscient.

L’issue donc, de la cure pour une femme ne lui impose-t-elle pas de situer diversement les orientations de son désir dans le partage, le clivage qui est le sien ?

S’il lui faut consentir à se faire l’objet cause du désir de son partenaire, n’a-t-elle pas à se faire la dupe de la « père-version » masculine ? Ce qui laisse d’un côté son rapport à l’objet se réaliser dans sa propre père-version maternelle et de l’autre, la solitude de son absence à elle-même quand elle devient pour elle-même cet Autre qui n’existe pas.

Se faire la dupe de l’inconscient en fin d’analyse, n’est-ce pas aussi un nouveau nom du destin pulsionnel en fin de cure, une forme de manifestation résiduelle de la pulsion : « se faire duper »… se faire du père…pour pouvoir s’en passer…

Sans être non-dupe, celui qui se fait la dupe, l’est-il – ou l’est-elle – encore vraiment ? La duplicité de la pulsion est irréductible.

Notes:
  1. Je vais me référer ici et pour l’ensemble de ce travail au cours de Colette Soler de l’année 92-93 sur « Les variables de la fin de la cure ». []
  2. 11/6/74 []

Dépêche-toi lentement

30 juin 2013 | juin 2013 | brouillonne de vie |

J’ai dit que mon blog c’était l’écriture de l’inhibition et, à considérer tout ce qui est publié ici, on voit combien, à trouver son support, cette inhibition peut être « productrice » (dis-je sans bien sûr juger de la qualité).

Rien, je pense, de ce qui n’est écrit ici, ne l’aurait été s’il n’y avait eu le blog.

Le blog a rendu possible une écriture qui ne l’aurait jamais été autrement.

J’ai souligné qu’il s’agissait avec le blog d’autopublication. Cet « auto » devant largement indiquer pour moi qu’il ne pourrait d’abord s’y agir… excusez-moi du peu, que de jouissance, laquelle n’est d’abord qu’auto, solitaire, autiste, si l’on en suit Lacan ou Miller (et j’en suis).

« Auto » impliquant également qu’elle n’avait trouvé d’Autre qui la sanctionne. Et que de cette sanction elle se passait. Un certain ton, un petit air de honte, laissant à entendre que cette sanction, qui paradoxalement autorise, manque. Cette sanction manquante étant presque ce qui oblige à donner son tour de jouissance à cette écriture. Quand l’Autre ne sanctionne pas, c’est a priori que c’est « interdit ». D’emblée le blog se présente, ou peut se présenter, à celui qui en emprunte le mode, comme suspect. En quoi, il est un apprentissage de la liberté.

Que le blog se soit passé de l’Autre pour démarrer ne veut pas dire qu’il veuille continuer de s’en passer. Mais, pour peu qu’on s’y laisse prendre, cette liberté  peut enivrer et sa possible perte n’apparaît pas forcément des plus désirables.

Pourtant, à chaque publication, c’est : « –  Est-ce que ça, ça va ? – Est-ce que ça, ça ne serait pas bien ? » D’où l’urgence, et souvent, le trop vite, le beaucoup trop vite publié. La trop grande hâte. Celle aussi des enfants inquiets qui font des choses dont ils ne sont pas sûrs qu’elles soient permises. Position désagréablement enfantine.

Bien sûr, je parle pour moi.

Le blog est interdit et transgression de cet interdit. Parce qu’il ne s’autorise que de lui-même.

Par ailleurs, s’il est publié trop et trop vite, dans une urgence perpétuelle, le blog permet à son auteur de revenir en arrière. Et cela, je ne me suis pas privée de le faire. Rien de ce qui n’est publié ici n’est finalement sorti de l’état de brouillon. L’objet est toujours mouvant. C’est un work in progress permanent et ce qui est marrant, c’est que ça progresse.

Ça progresse extrêmement lentement. Et le blog permet cette lenteur. Le blog qui ne juge pas, qui publie tout, n’oublie rien. Et je peux aujourd’hui m’acharner encore à donner un tour plus plus lisible à des notes prises en 2006, comme j’ai pu le faire récemment, comme j’ai dû le faire récemment parce qu’il y avait des choses qui n’étaient pas passées et qui insistaient.

C’est en quoi je dis qu’il s’agit d’inhibition. C’est que, dans ce qui est publié ici, j’ai toujours été au plus loin de ce qu’il m’était possible d’écrire. Il m’est si difficile d’écrire que cela a toujours été un arrachement, que cela aurait toujours dû être mieux, mais que cela ne l’aurait jamais pu, parce que je n’aurais pas pu. J’ai eu tendance à m’extasier de la moindre crotte. Mieux était possible, mais moi je ne pouvais pas. Je n’ai donc publié que des choses très imparfaites, auxquelles je me suis trop attachée de ce que leur seule existence, leur seule venue au monde devait me paraître, dirais-je, aujourd’hui que je m’en aperçois, « miraculeuse ».

Aussi, m’arrive-t-il régulièrement de reprendre de vieilles choses et de les traiter avec moins de respect et de précaution qu’au moment de leur apparition et, me semble-t-il,  d’enfin en tirer quelque chose.

Cela le blog le permet. Il y a dans le blog un Dépêche-toi lentement.

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