samedi 2 octobre 2021

4 octobre 2020 – réalité vérité réel

Ecrit en commentaire à un texte sur Facebook très remonté contre Emmanuel Carrère, l’accusant entre autres de proposer aux grands déprimés de se faire faire une cure de bonne conscience auprès de réfugiés sur une île grecque, tout en travestissant  la réalité des faits alors qu’il se targue de toujours vouloir dire la vérité, ce dont il fait même le cœur de son livre et de son écriture.

Certains écrivent, d’autres pas. Certains s’y autorisent, d’autres pas. Certains y sont obligés, d’autres pas. À toutes sortes d’égards, écrire est maladie, écrire fait partie de la maladie, écrire est sa guérison. Peut-on enlever l’écriture à Emmanuel Carrère ? Qui le peut ?

Ces « révélations » de l’ex-épouse indiquent une fois de plus certaines limites du genre, eu égard à ce que serait la grande littérature, la vraie, et ne sont pas loin de faire partie intégrante du livre et de l’écriture contemporaine et de la lecture contemporaine. C’est faiblesse sans doute que de s’y trouver  trop bien intégré. Mais n’est-ce pas l’époque qui est faible, et souvent prise entre la manie et la dépression.

Pour autant, faudrait-il qu’il n’écrive pas, Emmanuel Carrère ? Qu’il n’ait pas trouvé la forme fictionnelle de son malheur, fictionnelle au point qu’on n’y reconnaisse plus les très exacts faits de la réalité, celle dont d’autres peuvent témoigner, dont c’est à la fois le peu d’écart et le trop d’écart qui lui est reproché. Trop proche et pas assez de la réalité.

Mais enfin, quel est l’enjeu ? La réalité, la vérité ? À moins que ce ne soit le réel dont l’innomabilité à force d’être répétée finit par exaspérer, dont on a tout dit quand on a rien dit, où pourtant tombent certains d’entre nous, pas forcément les meilleurs, les plus géniaux, qui alors éventuellement pourront / vont pouvoir / finiront par agripper certains des mots qui les agressent, cela s’apprend au fil du temps, des années, qui les agressent par nuées, par milliers, les poigner ces misérables, ces cruels, au hasard, les garder au creux des mains dans le silence de la nuit où ils sont cloués au lit, sont-ils morts, sont-ils vivants, ces mots retenus dans leurs poings, sont-ils résonance, celui qui les malaxe jusqu’à en faire prise par où se hisser, se cramponner, est en grande attention. À quoi il n’y a pas de mode d’emploi, c’est la nuit ici qui régit, reine qui accroît son domaine de silence, d’infinie indifférence qui vous revoit. Et faudrait-il à ces rescapés reprocher de n’avoir pas tous fait bonne pêche. Ils usent de cela même qui les tuent. Nuées de mots, qui ne sont plus qu’énergie vrombissante, qui les encercle traverse dépèce, seul réel qui annihile toute réalité, toute vérité. L’écriture est le moyen de les coller au mur, à la surface de la paroi. Et du moment qu’on trouve à en nouer 2 ou 3, ou 4, ou 5 ou 6, on est bien content, et ça se fait à l’aveugle, et sans qu’on fasse trop la fine bouche ou qu’on n’aie trop le choix du sens qui se cherche se tresse vous redresse. Certaines vérités y retrouvent vie, qui sont autant de fictions, de celles qui ont tissé votre filandreuse matière, comme celle de « l’homme bon ». Qui est qui pour critiquer cela ? Quel sens, bon sens, pour en juger ? )

Pour ma part, je suis convaincue du courage qu’il aura fallu pour écrire cette folie, pour avouer ce diagnostic. Et je lui suis reconnaissante de l’avoir eu. Alors, faiblesse du livre, peut-être, ces mois traînés sur les îles grecques qui « dans la réalité » n’auraient été que des jours. S’y joue donc une des parts de fiction du livre. Fiction qui n’en détient pas moins sa vérité (voire d’ailleurs qui en acquière).

S’agit-il donc de la fiction de l’homme bon à laquelle Emmanuel Carrère se plaît à croire, de son aveu. Plus largement s’agit-il de la fiction de notre temps, de son inassimilable, de toutes nos solitudes ancrées dans du sable, échoués que nous sommes jamais loin de migrants dont nous ne sommes pas, dont tout nous sépare sinon cette propriété d’être corps vivants encore écrasés là, flaques. Ce n’est pour ma part pas là que je l’ai senti guérir, Emmanuel Carrère. Là, dans les îles grecques, c’est temps blanc, sa métaphore, yeux ouverts sur rien dans la proximité de damnés contemporains qui se relèvent, lui aussi, usent de leurs jambes, errent, pianotent sur des téléphones portables, s’ennuient. Font du tai chi. Temps d’intervalle, sas à l’heure de nulle part, suspendu comme on l’est en avion. S’il y a eu guérison, c’est pour moi dans le renouement avec l’écriture qu’elle a lieu, juste après, dans le retour en France, empruntant la petite porte, celle des valets, des manuels, par l’exercice entêté, obtus, sourd, inlassable de ses 2 mains qui posent leurs 10 doigts sur le clavier, le simple recopiage d’interminables pages de manuscrit, l’obéissance à un ami cher, à l’éditeur aimé, décédé. C’est là, pour moi, que ça renoue avec la possibilité de la vie, avec l’écriture et la publication. C’est dans la production matérielle de l’objet livre qu’Emmanuel Carrère se leste, bouche la veine ouverte par où il se vidait lentement de lui-même.

Il y aurait toujours d’autres choses à dire de la crise de dépression mélancolique, on pourrait toujours dire autrement ce qui ne peut s’en dire, tout ce qui d’elle n’appartient pas même à la mémoire, et je trouve pour ma part qu’il en dit fort simplement l’impossible et même l’oubli, terrible. Son trou dans l’être. Et c’est alors par les parois imaginaires de la descente aux enfers, par d’autres déjà si souvent risquée, qu’un énième auteur prend sa plume et aveugle, à tâtons grave, le corps plaqué à la paroi humide, ce qu’il peut, de l’inconcevable, de ces régions dont on est revenu bête, ou l’on a perdu l’entendement, l’humanité peut-être. Cela relève de l’éthique du bien dire, seule capable de répondre du sacrifice mélancolique.



MP à l’auteur du texte que je commentais

Yoga – Je dois vous avouer que ce livre m’a permise de prendre la mesure d’un diagnostic que je n’acceptais pas, et d’en voir ma vie bouleversée. Définitivement. Je refuse encore les médicaments et cherche. Mais, ce livre, aussi peu littéraire soit-il, m’a extraordinairement aidée. Car ce n’est plus du tout le même combat, la même responsabilité, le même risque. Le même combat pour un retour à une normalité. Je suis dédouanée. Mes responsabilités sont ailleurs. Et ma culpabilité s’est évaporée. Qu’une autre se mette en place, c’est possible. Mais j’aurai me semble-t-il les moyens de la combattre. Espérant ne pas vous blesser, Cordialement, V

lundi 4 octobre 2021

Au nom d’aucune
— lundi 4 oct. 2021, 09:46

Aucun choix qui ne se soit avéré impossible, à chaque croisée de chemins emmurée. Ciel qui à certains parle, muet sans me voir, image d’un corps inatteignable, moins doué d’amour que d’extases hors durée.

Vint celui qui m’a donné le souffle. Celui ou celle. Au corps d’une voix blanche traça des allées, donnant enfin retours et soif. Du doigt de la voix et des noms.

(Enfin retours et soif. Du doigt de la voix. Et des noms. Enchantés. Oh, te salue au nom d’aucune.)

Oublier l’entendement.

Hasard dodelinant des syllabes auxquelles obéir sans crainte, qui vous glissent sur les veines, qui vous glissent dehors dedans. Galopent cataclop. Et soif.

Un corps reçoit ses noms.
Un corps reçoit ses noms!
Cloches.
Baptêmes contre anathèmes.

Rugissez. Ici le bas-ventre né chapeauté. Y tirer les gouffres. Coulées de douceurs, résons d’écritures, renversée.
Les yeux. Noyés de bois verts, de bois vie.
Telle est l’ardeur : ce puits.
Se lève. À tes lèvres,

« Nous comprenons l’écriture qui chauffe et qui brûle. »
« Qui chauffe au bois. »

(D’après Lève bas-ventre de Gertrude Stein – Atelier d’écriture Laura Vazquez)

vendredi 22 octobre 2021

cordelette à noeuds

tôt, enfante
très tôt, dès enfante
couchée sur roue dans noir du temps
souriante ou oubliée
oubliante
selon
roue dentée mais pas pleur
même pas
corps fort, plombé
lourd
comme imprimé ok
comme corps de lettre
à 10 points à 10.000 à l’infini
univers compact
univers contact
tu
vois l’actée: je prends ta main tu prends ma main, la borne
dedans le temps mord

dimanche 24 octobre 2021

sur nos joues émues

ma mère l’oiseau
ta jolie tête penchée ton petit bec piquant
la moire de tes yeux
tes plumes toutes de soie
tu veilles sur nous
tu nous dis
entends-tu comme le tu est rouge brun, comme la terre
d’où tout revient
c’est l’envers de la grammaire
qui tire son teint des beaux oiseaux
tu nous dit
et comme ce ta là est vert, émeraude qui accompagne l’objet de tes rêves
vif et chaud
tandis que le doux veille est rose
nous dit-elle de sa langue oiseau, qui tapote tricote faufile faucille
ses pattes laissent tranquilles signes
comme des baisers de cils

ma mère l’oiseau

ma mère l’oiseau
ta jolie tête penchée ton petit bec piquant
la moire de tes yeux
tes plumes toutes de soie
tu veilles sur nous
tu nous dis

entends-tu la couleur du tu, comme la terre
d’où tout revient
c’est l’envers de la grammaire
qui tire son teint des beaux oiseaux
tu nous dis

de la syllabe murmurée
bulle
entends-tu
le vert l’émeraude du secret de tes rêves

nous dit-elle de sa langue oiseau, qui tapote tricote faufile faucille
ses pattes nous laissent tranquilles signes
comme des baisers de cils

oct 21/nov 22 – atelier Laura Vazquez (Christine Lavant)

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