FORMULAIRE / RÉSUMÉ
— Atelier rien nulle part (essai 2) (que ce qui est à dire ne fasse que s'annoncer)

Publié le Catégorisé comme brouillonne de vie Étiqueté ,

C’est avec ce texte, je crois, que j’ai été au plus proche de la  consigne proposée par Laura Vazquez, même s’il est  trop long, cherche encore sa forme, sa voix. Son mot d’absence.

Il tire son départ de  l’idée d’un formulaire à remplir, formulaire quelconque, type, l’un de ces écrits administratifs dont il est tellement impossible de répondre, qui vous réduit aux signifiants attendus de votre identité comme unité de production. Par excellence le genre d’écrit qui ne laisse aucune place à ce qui ne pourrait se dire, et sur la base duquel cependant notre société se construit.

C’est ma façon de tenter de me rapprocher du poème de May Ayim,  « objet : candidature », qui se joue de tous les envois de curriculum vitae, de toutes les langues vidées de leur substance auxquelles il est attendu qu’on se réduise.

Comme le disait si bien Laura, le poème se dérobe à toute tentative de fixation, à toute identification, il laisse vide toutes les étiquettes, et tout ce qu’il pourrait y avoir à dire n’y est qu’annoncé.

   « adressez-vous svp nulle part
    à n’importe qui »

Réponse ironique à la langue administrative qui vous traite comme n’importe qui, comme unité interchangeable. A rebours, sa langue est des plus familières, vivante, et son usage des déictiques, ces mots qui servent à désigner à pointer l’objet qu’ils visent, donnent au poème une allure de balade primesautière, tout en dénonçant le langage pour ce qu’il est : un indicateur dont on se joue:
 

« je m’appelle 
  comme ça
  je viens d’ici ou là et
  je fais ceci ou cela »

Et qu’elle rappelle à son manque :

  « ou s’il vous  manque quoi que ce soit
  adressez-vous svp…« 

Il me semble que je dois trouver le moyen de réduire mon texte de sorte qu’il trace plus significativement encore la place de ce qui ne s’y dit pas, de ce qui s’y dérobe, ainsi qu’indiqué par LV.

FORMULAIRE / RÉSUMÉ

Nom, prénom  D’où tu vas, où tu viens.
Date de naissance Me souviens de la date du lieu l’heure même à moins que je ne confonde avec celle. C’est le nom de la clinique où je nais que j’oublie et confonds avec celle où ma mère aujourd’hui
Nationalité Petit pays où je ne vis plus où j’ai quelques attaches
Etudes et solitude. Là que commencé sans m’en apercevoir m’en plaindre comme observé de l’extérieur (à connaître l’isolement)
Tout arrêté quand rencontré celle qui comme moi (jeune femme) plus loin que moi et qu’ensemble nous voulûmes – faire ce dont personne ne peut parler
Alors vinrent les nuits les danses les hommes qui apprécient les teenagers et ne vous veulent pas du bien (sauf un, inoubliable jeune et peroxydé et aussitôt perdu)
Puis l’inattendue version du pire le grand sommeil d’oubli les semaines au lit
Puis les études reprises contre le père
Puis laissées
Puis les études reprises dans les pas du père
Puis laissées
Pour suivre un homme qui m’apprit tant
Qui une nuit une seule dans l’appartement de son ami, en lisière du parc, l’appartement vide de tout et ensuite plus jamais
C’est alors que commencerait ladite expérience professionnelle et le jeu sans jouer les planches sans trac un texte enfin dans ma bouche pas de moi adopté de tout corps par coeur
Puis l’amour avec l’ami en âge d’être mon père l’ami de mon ami où l’on parlait de ce qui se parle nulle part chez qui j’arrive veines ouvertes. Qui aimait la pluie marcher au milieu de la rue et les jours au lit à s’écrire. Qui arrêta de boire que je laissai qui alla au pire mourir seul
Puis la raison, le travail, la nouvelle raison, la solitude. Pour le sauvetage, la pratique d’une parole pour laquelle on paie et l’élaboration du cas (le mien) comme identité inavouable
Ce, toujours à portée du pire, qui se chuchote en mon cerveau
Et la lecture des livres.
L’écriture des secrets l’amour tout épistolaire les rues arpentées
L’amie unique belle chère et lointaine.
Au loin les autres leurs fêtes, leurs amis.
Moi, je me rapproche toujours de moi tandis que se perd inéluctablement la possibilité de la fiction du camouflage du secret du scandale.
Les insomnies les longueurs de bassin
Des amoureux qui me suivent de loin
Le coup de foudre
L’amie qui aimait les femmes
L’écriture avec un homme qui me dit de quitter mon pays
Avoir tout quitté
Puis l’enfant et l’accalmie, la volonté de l’accalmie
Tout du long l’oubli avançant
Tout du long, profession : sans
Quoi qu’il en soir, profession : sans
Quelque soit le trop, de travail
La normalité jamais rapprochée la honte jamais laissée
Ceux et celles que l’on paie pour parler déballer l’obscur qui seul pourrait vous représenter
Plus tard, beaucoup plus tard, la folie de la mère l’alzheimer son lent recul sa sortie sa connaissance des gouffres
Tout du long quelques lettres pour survivre pour sur-vivre connaître l’ardeur se brûler à la vérité, la plume nourrie des sucs de l’intime, la joie, le repos, la lettre comme lieu où je possède un nom
(À côté, en parallèle, la rencontre d’un corps le mien l’apprentissage d’un corps délivré de l’image les coulisses du neutre la séparation de ce qui ne cesse de devoir être oublié. Le temps du geste ancestral, avec ses plis et tous ses au-delà)
Tout du long l’échec à améliorer toujours
Le renoncement à la normalité
L’intime sentiment de ce qui reste à accoucher à mettre au monde
Les liens impalpables
Le rire des langues désuètes des voix à provoquer du tout-fait à défaire
D’une table qui se rase
Le désir de vaincre le vain pour donner en gloire le rien qui est le mien, si fondateur, au nom de celui seul qui ancre soutient ma responsabilité, l’enfant né 20 ans plus tôt (et à qui je n’en donne aucun)
Les formules improbables poursuivies pour qu’il ne subisse de l’excès d’angoisse que l’inconnue force qui permet contre toute raison de défendre l’innommable l’innocence le moyen de dire même sans tout dire dans la sainteté du ratage le chant maudit de sa force le triomphe sûr de sa joie tranquille et sans haine ni amertume.
La constante inconnue.
La beauté.

VMVST  

– Ecrit de nuit, à Bruxelles, une de ces nuits où je craignais ne pas pouvoir dormir, je logeais dans la maison de ma mère. 

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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