lundi 11 avril 2016 · 14h59

l’enfer (des choses à faire), etc.

la semaine en un clin d’œil

mardi 5 avril

08:30

plusieurs jours que je fais du taï chi tous les jours. les deux derniers, c’était en fait la nuit. même 2 fois par nuit. des inquiétudes me réveillent. pour en venir à bout, je me lève, je fais ça. c’est efficace. je fais plutôt de la méditation, ça fait moins de bruit. pas que le taï chi fasse du bruit mais le plancher craque. enfin, ce matin, 7 heures, j’ai fait les onze (qi gong), qui se font debout mais sur place –  y a moyen de trouver un endroit où le plancher ne craque pas.

9:14 maintenant, je pourrais ne pas dormir. mais si je dors, ça va être délicieux.

9:26

TO DO

cheveux, coco/argile ( 10:58)
RV coiffeur
RV dentiste
stage conte ? (12:10)
mail réponse N (13:49)
stage 24 ?
RV coiffeur jules
RV dermato Jules
Rothko
À manger ce soir ?
cours 24 : 19 à 22h

mercredi 6 avril

MY LIFE AS A TO DO LIST

Tél RV coiffeur (fait à 12:12) ; Tél RV coiffeur Jules (fait à 12:18) ; Tél RV dentiste (fait à 12:26) ; Tél RV dermato Jules (fait à 12:35) ; Tél RV ophtalmo (fait à 13:05) ; Tél opticien (fait à 12:58) ; 24 : Les filles de Jade ; stage 24 ? ; Rothko ; imprimer Rothko ; chercher passage ; À manger ce soir ?

 

jeudi 7 avril

7h44

taï chi – on sait que c’est une façon d’aller vers un mysticisme sans Dieu, une façon d’aller vers la le vide, de couper court avec les élucubrations du fantasme en mettant au jour ce que le corps éprouve comme jouissance dans sa rencontre avec le signifiant, en l’écoutant physiquement. également écoutant, éprouvant cette part de vie dans le corps, indépendante, elle, du signifiant et dont le territoire s’inscrit allègrement en dehors de ses limites, des limites connues de la peau. en se contentant d’éprouver cette jouissance que le langage, que le discours ne peuvent assimiler conduisant l’inconscient symbolique (ce qu’il n’est pas partout) à élucubrer des comportements, des croyances, des tactiques inextricables, d’une complexité hallucinante, qui n’ont d’autre fonction que de recouvrir ce manque signifiant, à la rencontre duquel les pratiques comme le taï chi ou la méditation se proposent d’aller directement. et, pour le dire d’une façon cavalière, n’usant plus du signifiant que pour chevaucher ce manque. cet usage du signifiant comme simple selle devant bientôt lui-même être abandonné. et le manque monté à cru.

dit-elle.

chercher à dire que la tentative de maîtrise de sa vie par le seul usage du signifiant, du discours, conduit forcément à des malaises, à des horreurs. 

09:59

sinon, j’ai encore passé des heures hier soir à consulter des blogs qui m’expliquent comment me débarrasser de mon henné, le mien fonçant de plus en plus, qui plus est prenant est une teinte violine totalement non-souhaitée (la formule du henné que j’utilisais ayant changé), tandis que par en dessous une quantité me semble-t-il considérable de cheveux blancs pousse, rendant presque regretté l’aspect tout au plus négligé jusque-là des repousses face à ce qu’elles me révèlent aujourd’hui des inéluctables transformations physiques qu’elles entraînent, et ce sentiment, que c’est là, maintenant, sous mes yeux, que ça se passe, que je me transforme, pour de bon. j’entre dans un nouveau corps. un nouveau corps plutôt vient-il me recouvrir. (enfin, c’est décidé, je deviendrai donc un poil beaudelairienne et colorierai mes cheveux, mais, je m’accrocherai à cela : toujours au naturel (il en faut des limites); et puis, je les voudrai dorénavant plus clairs, c’est blonde que je décide de terminer ma vie – n’ayant pas eu le cran de le faire du temps de ma jeunesse perdue ( j’espère que je n’irai jamais beaucoup plus loin dans la jeunissisation)).

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14:05, lessive + Rothko
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midi, au sortir du taï chi

vendredi 8, 11:12

heureuse de trouver sur internet la description de ces deux postures. jusque là, je croisais mes jambes plus ou moins au hasard avec plus ou moins de bonheur. là, je suis parée :

Le demi-lotus

le Siddhasana (en sanskrit सिद्धासन / siddhāsana signifiant «posture parfaite » ou « posture de l’adepte ») ou demi lotus [1] est une posture assise exposée dans l’Hatha Yoga Pradipika [2] de Yogi Svatmarama. Celle-ci consiste à placer fermement le talon du pied gauche contre le périnée et le talon du pied droit juste au-dessus de l’organe sexuel. Dans la pratique du Hatha Yoga, il faut se tenir bien droit, appuyer le menton sur la poitrine et regarder fixement l’espace entre les sourcils. C’est par excellence une posture utilisée dans la pratique de la méditation (Dhyāna) et des exercices respiratoires (Pranayama).

↑ Cette posture assise est généralement conseillée dans la pratique de Zazen associée au Bouddhisme zen implanté en Occident car celle-ci est plus facile à tenir que la position du lotus (Padmasana)
↑ Hatha Yoga Pradipika. Svatmarana, Pancham Sinh (I, 37 à 45)

La position birmane

S’installer en posture birmane est relativement simple. Il faut s’asseoir en posant ses mollets à plat devant soi, l’un devant l’autre, généralement le mollet gauche devant le droit, mais rien ne vous empêche de faire l’inverse si vous vous sentez plus à l’aise ainsi. Les pieds sont posés à plat également, la plante tournée vers vous. Les genoux touchent le sol, sauf si vous n’y arrivez pas, auquel cas il ne sert à rien de vous contraindre. Cette posture offre une certaine stabilité très agréable, mais elle demande tout de même un peu plus de maintien volontaire que le lotus. Elle est toutefois bien plus accessible et bien plus simple à endurer lorsque les séances de méditation se font longues.

Samedi 9 avril.

9:30, au lit
rétrospectivement, cette semaine : peu de « maux » par rapport à la semaine dernière, mais beaucoup de mots, d’inquiétudes. de nuits trouées de réveils en sursaut. principalement autour du livre et de mes cheveux. j’aurai bu, peut-être, un peu plus également. et essayé de trouver le moyen de combattre ces inquiétudes avec le taï chi.

9:54, toujours au lit
de ces inquiétudes, je suis coutumière, c’est elles qui m’ont conduite à écrire.
cette nuit, à moitié endormie, plusieurs fois me lance dans des prières, des « je vous salue marie…  » (dont la litanie tente de chasser, de repouser, au rouleau compresseur, par leur absence même de signification, les pensées envahisseuses). plusieurs fois aussi, me dis que je veux mourir. c’est plus fort que moi, cela me troue de l’intérieur. le matin, en semaine, quand je me rendors après le départ de J, pour me re-réveiller à 10 h, je suis alors lavée de ça (mais trop gonflée de sommeil).

10:33 mini câlin avec F. il s’est levé, pour une fois avant moi.

11:55 amusante et vivifiante conversation avec F à propos de ça (qui n’est pas drôle) : http://www.liberation.fr/debats/2016/04/01/entre-amis_1443422

revendique le droit d’écrire n’importe quoi et mal.

hier, Speak low when you speak love de Wim Vandekeybus, très mauvais. ennuyeux, long, aucun propos, infantile. danseurs beaucoup trop musclés, et leurs muscles beaucoup trop exhibés. chanteuse gnangnan au possible. j’avais vu, il y a 30 ans le premier spectacle de Wim Vandekeybus, c’était flamboyant, de l’énergie pure. n’en subsistent que muscles et tatouages.

12:14 ces inquiétudes. je ne suis pas sûre que ce soit leur contenu qui compte, qu’il y ait moyen d’en traiter le contenu, de les traiter par leur contenu. autrefois, je disais « mauvaises pensées », « pensées chewing-gum ». j’estimais alors que la teneur de ces pensées n’avait aucune espèce d’ importance. que ça voulait penser et que n’importe quoi pouvait faire office. que c’était pulsionnel. cette façon de voir les choses n’étant pas parvenue à traiter le problème, au contraire des antidépresseurs, j’hésite à le ré-attaquer de cette façon.
et si, contrairement à ce que j’ai voulu considérer jusqu’à présent, ces pensées étaient un tant soit peu nécessaires, pourquoi faut-il qu’elles me fassent mal. ne pourrais-je les assumer simplement pour ce qu’elles sont : je réfléchis. ça fait partie du processus, de la vie. je me réveille la nuit, je réfléchis. pourquoi faut-il que cette réflexion soit inquiète. 

bien sûr, s’agissant du livre avec JC par exemple, l’idée, c’est que je n’y arriverai jamais. donc ici, probablement, la question du contenu compte-t-il : je me trouve engagée dans quelque chose dont je ne vois pas comment je vais arriver à me sortir tête haute, comment je vais me sortir sans m’être une fois de plus complètement rabaissée. ayant à la fois manqué d’intelligence et à ma parole.

(je commençais à voir hier que ce qui me manque dans cette affaire, c’est l’idée de maîtriser la bête, le texte. j’ai l’impression qu’il ne cesse de m’échapper de partout, que rien ne fera que je puisse en retenir quoi que ce soit (pour mon propre compte). qu’est-ce qui dès lors pourrait s’en transmettre à un autre. comment en restituer la « substantifique moelle ». qu’écrit-on dans l’immaîtrise. (quand on songe qu’il ne s’agit ici que de ré-écriture !) il ne m’est donné que d’apercevoir.)

14:29 je pensais avoir RV avec le coiffeur aujourd’hui, à 13h15. d’après la coiffeuse c’était hier. j’en suis terrassée, je retourne me coucher. faiblesse, faiblesse, faiblesse. faiblesse et paresse.

15:03 écrit une demi-heure. là, reposer une demi-heure. boire mon café, fermer les yeux.

16:09 pourquoi faut-il que l’on reste toujours consciencieusement en-dessous de ce qu’on attend de soi. (sans toutefois se risquer à descendre trop bas).

dimanche

10:04:2016_18:03:15
10:04:2016 @ 18:03:15

lundi,

nuit de dimanche à lundi, 4:41
trop bu hier soir
suis une empêchée, fondamentalement
ces derniers jours, prends trop la mouche, m’énerve trop, trop quart de tour, trop violente. et me déteste (tout de suite, dès que j’élève la voix) pour ça, ce qui me rend d’autant plus agressive.
hier, enfin grosse discussion autour du fait que nous n’allons pas à République. finalement F dit, le problème, c’est que nous le voulons trop (et moi, suis très étonnée de ça, qu’il dise ça, parce que pensais qu’il ne voulait pas. il dit, le problème, c’est que si on y va, on devrait y aller tout le temps).
alors, nous serions deux empêchés qui nous empêchons mutuellement très bien.
pourquoi.

Je voudrais ne plus m’énerver.

Je suis simplement tout le temps angoissée.

Je ne veux jamais ce que je veux.

04 :55

nous nous aimons parce que nous nous empêchons très bien.

j ne doit pas croire être ce qui nous empêche. il faut qu’il le sache, qu’il comprenne que nous avons besoin d’être empêchés. or, ce qu’il y a, ce que j sait, c’est que fondamentalement nous ne voulons pas du reste du monde. c’est que nous devons nous faire violence pour sortir. le problème, c’est que nous nous aimons. nous nous apportons beaucoup de joie et nous sommes frileux vis-à-vis de l’extérieur. et puis, parfois, nous étouffons. et je m’énerve.

05:13 moi, quand je veux quelque chose, je ne le veux surtout pas. longtemps, aimer, ça a été comme ça aussi. aimer, c’était ne pas aimer. jusqu’à jules. aimer jules ça a été aimer jules.

il doit y avoir une explication à tout ça.

le problème, c’est les mots. il n’y en a pas un mot qui ne veuille dire ce qu’il dit et son contraire. aimer jules se passait bien des mots. les mots sont venus en plus, mais pas au départ.

(alors quand je dis que je ne veux pas pas ce que je veux, c’est que que peut-être, ce que je veux, c’est que de façon ultime mon vouloir s’accomplisse comme non-vouloir, c’est-à-dire comme mot. il faut pouvoir faire un pas de côté, cesser de chercher à accomplir le mot, qui veut toujours dire son contraire, cesser de chercher à accomplir son équivocité. c’est difficile, parce que le désir de l’équivoque est inconscient. c’est à l’inconscient qu’il est égal de dire qu’une chose soit l’une et son contraire. ça ne compte pas pour lui. pour lui, il y a ce qu’il y a. et cela, qu’en sait-on.)

5:51 le pas de côté, ça peut être l’irruption soudaine de violence, la touche de réel de la colère. ça peut, j’imagine. mais, il vaut mieux que je trouve autre chose.

9:32 j’ai beaucoup écrit n’importe quoi cette nuit. c’est dommage. on peut faire dire n’importe quoi aux mots.

la situation est que je suis en plein je-ne-veux-pas. la situation c’est : que j’ai des choses à faire et que je ne veux pas. pour moi faire, autre chose que rien, c’est angoisser. j’ai des choses à faire, donc j’angoisse. je dois vivre avec ça. Et je dois essayer de faire moins de bruit avec ça. que ça me déborde moins. Parce que ça me rend très triste pour j et f.

12:10 oui, je n’ai plus besoin réfléchir à rien,  tout compris,  sais tout. je ne supporte pas de faire quoi que ce soit. plus précisément : je ne supporte pas de devoir faire quoi que ce soit.

15:07 faire ce que je dois faire m’engoisse (m’anfer).

16:01 seule l’écriture dans le blog me soulage, me guérit. parce qu’il n’est pas ce qu’il doit. parce que sa forme cloche. parce que je ne le dois pas. parce que je dois même m’en empêcher. crainte de biche d’ailleurs à l’idée que si je n’avais pas à m’en empêcher, si j’y étais autorisée, au blog, autorisée, attendue, obligée : je n’y arriverais plus. ça, je ne veux quand même pas le croire. mais ne pas l’écrire, n’y écrire pas, c’est l’enfer aussi. 

mercredi 13 avril 2016 · 09h08

écrire et ne rien faire (comme disait ma grand’mère : ce qui est fait n’est plus à faire) _ en-trop et vouloir de l’Autre symbolique

mercredi 13 avril, 09:08

je vois maintenant que je n’écris ici que parce que je ne dois pas le faire. l’enfer, n’est pas seulement le faire, c’est le devoir faire. c’est l’enfer du devoir (( j’emprunte ici le titre d’un livre de Denise Lachaud, L’enfer du devoir – Le discours de l’obsessionnel publié chez Denoël, Coll. Espace analytique, 1995. )). c’est quand le faire devient devoir, attendu par l’Autre.

écrire ici, c’est ne rien faire… de ce que j’ai à faire.

je ne peux pas continuer comme ça, faut vraiment que je trouve le moyen de faire ce que j’ai à faire.

du faire, l’enfer s’écrit plutôt dans l’à-faire. le faire en soi seul est supportable. c’est l’avoir à faire qui ne l’est pas. l’angoisse s’insinue dans le délai entre l’à-faire et le moment du faire. elle tient à la prescription symbolique de l’à-faire (celle qui ira plus tard l’inscrire  dans une liste (de choses à faire, la to do list)).

Tout ce qui concerne l’angoisse et l’objet tourne autour du manque. Du fait même d’être
définie par Lacan comme le « manque du manque », on voit comment il n’y a pas
d’angoisse sans le manque dont elle vient signaler la disparition.
Marcus André Vieira, « La voix, la résonance et la balle » (( Papers nº 10, AMP  2014-2016 ))

c’est l’à-faire, qui situe la chose à faire dans un projet, en dehors du faire, qui l’inscrit comme goal, comme but, qui la sépare d’elle-même, qui crée l’angoisse. dans le faire même, je disparais, je fais place au faire. c’est dans l’à-faire que je sépare le faire de moi-même comme objet à-faire et que j’apparais, ou réapparais comme voulant faire, séparée de ce que je veux faire.  il s’agit de la séparation entre désir et jouissance. dans le faire, c’est jouissance, dans le désir, c’est jouissance ajournée, impossible, qui s’incarne dans l’angoisse : dans ma chair j’incarne alors ce qui à l’Autre manque (et le complète). ce que l’angoisse redoute c’est la disparition de cet être, ma disparition comme sujet et la dissolution du fantasme (dans lequel j’incarne ce qui manque à l’Autre).

pour autant, le faire du blog n’est pas sans tension, n’est pas sans se faire sans une certaine urgence, étant illicite (je n’y suis pour personne). mais ce n’est jamais que quelque chose qui ne se fait que parce qu’elle ne doit pas se faire. je suis juste infoutue de faire ce que je dois faire.

si le blog a pu paraître plus intéressant quand j’ai cessé les antidépresseurs, c’est peut-être parce que là, pour une fois, je faisais ce que je devais faire. c’était bien le minimum pour retrouver le goût, le goût tout court, et puis l’envie, le désir et la possibilité de faire. le minimum pour sortir de la chape de fatigue. or, on dirait bien que du coup je me suis retrouvée rattrapée par l’angoisse, qui elle veut que je ne fasse surtout rien, qui fait de ma vie un enfer.

c’est ce qui m’apparaît à la suite de ce qui s’est passé la semaine dernière.

je dois arrêter de ne pas faire ce que je dois faire.

NB: j’ai bel et bien l’impression de prendre tout à l’envers (psychanalytiquement parlant).

lundi 21 mai 2018 · 09h09

Lundi, 21 mai 2018 – 9h9

Bonjour Madame,

Je me permets de vous écrire encore, parce que je viens de recevoir la réponse à ce mail, que je vous transmets, de mon amie, qui m’a entendue, ce qui me fait plaisir. S’il vous paraissait que je ne dois pas vous écrire, vous me le direz, comme l’avait fait Berger en son temps.

Le film dont il est question, est un film de Chantal Ackerman, Jeanne Dilman, quai du commerce 1080 Bruxelles. Il passe en ce moment sur Mubi, c’est une merveille. Je crois qu’il y a moyen de s’inscrire à Mubi et de faire une semaine d’essai gratuite, ça en vaut la peine.

Il me semble que ce film m’a montré la racine de mon mal, cette identification à une mère ménagère dont je n’arrive pas à m’extraire.
Dans ce que je lui ai dit, France a entendu le rien et j’en suis heureuse, je ne pensais pas qu’il percerait si bien dans ce que je lui écrivais.

Veuillez croire que ce rien m’étouffe, que j’ai maintes fois essayé de décliner sans succès opérant, conséquent.

Il m’est arrivé de n’y lire qu’un nom du vide, sa face symbolique – dont les gestes ménagers feraient l’alphabet, ainsi que ce film me l’a découvert. Le rien ne serait qu’un nom, mais quel nom, qui n’a d’autre répondant que le tout et quel tout. Car ce tout doit contenir l’infini. Sous l’empire du monde le plus cruel, l’emprise des choses à faire, l’enfer, une liste, la prescription, l’infinitude du devoir.

Elle le fait, Jeanne Dilman, elle accomplit les gestes, ce qui ne cessait de m’étonner, car enfin, me disais-je, son mari mort, elle seule avec son fils, où est encore l’obligation.

L’obligation tient à se confiner dans un rôle, à faire taire ce qui a cloché, ce qui a été méprisé, les choses dont il ne faut pas parler avec le fils, sa cruauté envers lui, elle devenue forteresse imprenable, son désir de femme, sa jouissance (qui finit par la surprendre avec un de ses clients, la pousse au crime (la jouissance est interdite ?) ).

Ma mère m’a servie autant qu’elle a servi mon père. Elle n’espérait pas que je devienne comme elle. Que du contraire. Elle se réservaient les basses tâches afin que nous puissions, nous, nous consacrer aux plus hautes œuvres. Et comme elle l’a toujours dit, elle n’a jamais fait de différence entre nous. Elle incarnait la seule différence. J’ai cherché à la rejoindre en sa différence. Mais, elle ne le veut pas. La seule, être la seule est quelque chose à quoi elle tient. Et le mépris où elle est d’elle-même, cette haine, l’empêcherait bien de vouloir pour moi ce qui l’a fait, aujourd’hui encore, tant souffrir.

Nathan : pour tout vous dire, la tentation pour moi de l’aimer, c’est celle de l’aimer en dehors de la mère, dans l’oubli, dans l’abandon de mon fils, sans compter celui d’Édouard. Il en serait fort marri, s’il l’apprenait (car je lui connais cette faiblesse de m’aimer mère).

Ah, j’ajoute que je crois personnellement à la sainteté des tâches ménagères. Elles ont leur part de sainteté que je rejoins pas suffisamment souvent. Leur sainteté, leur bonheur. Quand elles sont les gestes de ce dieu oublié, le corps, dont le silence ne dit pas rien et qui recèle la plus haute sagesse, à connaître (par rejet, par pure et simple exclusion) l’inanité de tout dit qui ne tiendrait de lui.

Et si je ne parviens pas à rejoindre cette sainteté, c’est que je ne parviens pas à m’extraire, à ôter ma tête de l’encolure de cet habit de la mère que je ne cesse de vouloir enfiler, sans y parvenir, car en vérité, de mère il n’y a qu’une : la mienne. Elle est l’impossible incarnation adorée et haie, aimée. L’angoisse est de ne pas devenir elle.

Et il m’a parfois semblé, j’ai cru, quand je me retrouvais dans cette grande maison, à faire les lits, que son angoisse à elle, à ma mère, était du même tenant, tonneau, que celui de sa mère aux 7 enfants, au mari, qui se levait tous les jours à 4 heures et qui avait eu tant de lits à faire, tous les jours. Et qui avait cette expression, quand elle n’avait pas-tout fini, qu’il en restait : c’est le levain pour le nouveau pain, le pain de demain. On n’échappe pas au reste à faire. Un enfer.

Donc, je crois à la grandeur des tâches ménagères, qui sont celles des moines zen d’ailleurs de et bien d’autres moines et moniales de part le monde, mais je pense qu’elles devraient être (pour le coup) plus universellement partagées, et leur grandeur reconnue (seulement ça ce serait parfaitement anti-social, sous sociétal).

Car enfin bon, les hautes sphères, les grandes œuvres intellectuelles, si il est quelque chose à quoi la psychanalyse m’a amenée, qui m’a soulagée sans pour autant me rendre la vie facile, c’est bien à ne jamais me les tenir pour dites, et à ne croire, à ne vouloir que de l’instant où elles me transpercent (jusques au fond du cœur), où elles me touchent intimement… là se tient ma responsabilité. I s’avère que couper des oignons pourrait, semblablement, m’émouvoir.

Je m’arrête là.
Merci.
Bonne fin de week-end,
Jeanne Janssens


Envoyé depuis mon smartphone. 


——– Message d’origine ——–De : jeanne Date : 20/05/2018  12:11  (GMT+01:00)À : France Courtois Objet : Re: « Signer »

Si chère France,
Hier, je t’écrivais ce qui suit que je pensais corriger compléter raccourcir, mais je n’en ai plus le courage. Je suis désolée, impossible de me relire. Édouard m’a hier soir poussée à avouer que j’étais amoureuse de quelqu’un d’autre. Et la situation est devenue vraiment difficile. Bon courage ma belle,
Je t’embrasse,
Jeanne

Je n’ai pas vu Signer finalement. C’était hier une de ces journées où je tombe dans une sorte de trou, d’oubli, où je n’arrive à rien faire, et qui peut devenir angoissant, mais que j’apprends à laisser passer, à neutraliser. Aussi en ai-je profité pour regarder Jeanne Dilman qui passait sur MUBI, je me suis dit que je n’en aurais peut-être plus jamais l’occasion. Je ne regrette pas du tout ce choix, ce film, je voudrais le voir encore et encore,  je pense l’avoir vu dans les meilleures conditions, prise moi-même dans cette énigmatique torpeur, ma séparation. Ce film ! Ah, il me semble qu’il contient ( je me suis embarquée dans cette phrase ne sachant pas vers quoi elle allait, me fiant à l’écriture et voilà que le mot ne vient pas, que je cherche)… l’alpha sans l’oméga ? Qu’il me montre ma mère, et peut-être la mère de ma mère et encore la mère de la mère de ma mère, etc., etc., etc. Une généalogie maternelle. Jusqu’à quand remonterait-elle? Et aujourd’hui, elle se serait cassée, elle commencerait à casser. Cette généalogie d’angoisse. Ou pas ? Ne meurt-elle de sa mère, Chantal Akerman, n’est-ce pas de sa mère qu’elle a souffert ? Une Genèse, peut-être est-ce ce mot que je cherchais, une Genèse dont la suite resterait à écrire, si l’on veut pouvoir échapper à la damnation. C’est une interprétation. J’y ai vu l’amorce de ce que je me suppose devoir écrire, pouvoir écrire pour échapper à ça, ce qu’elle montre, où il n’y a rien d’apaisant, pas un instant de soulagement.

Cela je me le dis à moi-même, parce que j’aurais pu croire, ou vouloir, j’aurais pu croire ma mère qui me disait, qui nous disait, le vouloir, l’avoir voulu, ce qu’elle appelait son sacrifice. Dont il n’y aurait rien d’autre à entendre que la jouissance? Je devrais croire ma mère, mariée à un homme qu’elle aimait et qu’elle voulait servir, je devrais la croire, mais, cette angoisse qu’elle m’a filée, dont je suis à mon tour responsable, je ne dois pas l’oublier, elle existe, existait, a existé et continuera de m’étouffer si je ne trouve pas le moyen d’y mettre un terme. Donc, pas de soulagement, dans cet état, une seule contrainte.

Tout au long du film, je me demandais mais pourquoi le fait-elle, elle qui n’y est même plus contrainte, mari mort, pourquoi le fait-elle, est-ce que son fils l’incarne encore pour elle, son mort de mari, la mâlitude ? Lui, qui pose toutes les bonnes questions et elle si complètement fermée à son appel, à son amour, même si le seul (ou le premier d’une paire) sourire, esquisse de sourire, est celui qui se peint sur ces lèvres lorsqu’elle l’entend rentrer à la maison, le premier jour, le premier soir (et le second, sourire, celui qu’elle a à l’avant-dernière image du film, assise à la table de sa salle-à-manger, une main ensanglantée, qui nait sur son visage, léger, de toute beauté, au souvenir peut être de la jouissance qu’elle vient de connaître, qui l’a surprise, que son corps recèle). Alors, pourquoi le fait-elle, ces gestes, ce ménage. Je me disais, je la voyais, je me disais Cette femme est folle, folle, parce que je ne la comprenais absolument pas, absolument pas ce qui lui permet ou ce qui la contraint à faire ces gestes et aussi impeccablement. Ces gestes que moi-même j’essaye de reproduire sans y parvenir et jour après jour. Et je n’ai pas trouvé dans ma petite tête d’explication. La seule chose que me sois dite c’était qu’elle n’avait dû avoir d’autre modèle, aucun autre, et/ou que ce modèle-là, de la mère, était le plus fort. Que c’était celui auquel moi aussi je cédais, comme ma mère avait cédé avant moi, avait cédé à sa mère, au modèle de sa mère, qui elle-même, etc. Que ce modèle était plus fort que tout, où la mère s’enferme, ou une mère s’enferme. Où une femme en vérité est enfermée. Et, je pensais qu’on était là à la racine du féminisme, non ? Que face à ça, il n’y avait rien d’autre, plus aucune autre issue, solution, que celle du féminisme. Mais, peut-être est-ce secondaire. Maintenant, il y a eu le féminisme, est-ce que la question est réglée. Pas pour moi. Mais la génération suivante, peut-être, la jeunesse actuelle comment s’en sort-elle? Pour moi, la question n’est pas réglée du tout. Si Jeanne Dielman les fait, les gestes du ménage, moi, je me suis toujours empêchée de les faire tout en m’y forçant, je n’y ai jamais pris le moindre plaisir, j’y ai cherché le plaisir, j’ai cherché à le rendre supportable, et je me suis toujours comparée à ma mère, malgré moi, ce modèle auquel je ne voulais ressembler à aucun prix, je m’y suis toujours comparée, et me suis toujours trouvée tellement moins bonne qu’elle. Et je m’en veux tellement de n’être pas arrivée à donner tout ce qu’elle m’a donné à mon fils. N’avoir pas rangé sa chambre fait son lit préparé ses bons repas ses bonnes collations à heures fixes, ne l’avoir pas toujours fait réciter autant qu’il le fallait. Enfin, je lui ai parlé, un peu plus qu’elle. J ai essayé. Et je sais que mon échec cuisant, souffrant, est en fait une victoire,  victoire du désir sur la jouissance du silence de la mère. Et ce que je lui reproche, son tout donner que je lui reproche, qu’elle nous ait tout donné, ce sacrifice, que j’attends encore, malgré moi, ce tout donner, ne s’embrasse finalement, ne se contient que dans ces gestes de ménage, cette vie silencieuse uniquement consacrée au service de l’autre, à son service ménager, à ses besoins. C’est un travail comme un autre, dira-t-on. Alors, peut être ont-elles raison, les féministes, et faut-il qu’il soit rémunéré, ce travail, rejetons cette gratuité qui nous oblige, qui en oblige tous les bénéficiaires, et, insidieusement autorise celui, celle qui l’accomplit ce travail, qui prodigue ses soins, aux pires abus. (Celui qui vous donne tout n’attend rien en retour. C’est de ce rien qu’il faut revenir, car vous êtes ce rien. Quel rien êtes-vous. Vous êtes le rien du sacrifice. Là où le désir est renié, le sujet est renié, et l’absence de sujet, objet de sa propre jouissance, ne saurait reconnaître aucun sujet. L’objet ne connaît d’Autre que dévorant. ) Et quel est cet amour, ce modèle d’amour, que j’attends encore. Et que je me reproche de ne pas apporter à mon tour. Tient-il dans ce silence (qui rejoint d’ailleurs le silence de la pulsion ?) Il tient à ma mère. Ah, je me suis interrompue. Ne sais plus bien où en étais. Qu’est-ce qui la fait céder à ce point sur son désir ? Tu vois, mon idée, c’est que nous souffrons de nos mères, nous souffrons d’une généalogie de femmes, de la lignée de femmes qui ont souffert de leur mère, de cette identification-là. Qui passe, ne passe par rien d’autre que l’énoncé discret, éventuellement uniquement au travers de gestes, qu’elle ne nous auront même pas communiqués verbalement, que nous aurons observés, et dont la répétition aura suffit pour imprimer en nos corps un corpus de règles, assez restreints mais immuable. L’enfant :  On a mangé si tard. Pour une fois, peut-on rester à la maison ? La réponse : Non. simple net et définitif. Donc, revenons-y, qu’est-ce qui la fait céder sur son désir ? Enfin, nous le savons. du moins, le sais-je.

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