ces histoires de projet me rappellent Bataille. je l’avais découvert vers l’âge de 22 ans. lui qui m’avait permis de me départir, dépêtrer, m’éloigner du projet la tête haute.
là, une consultation rapide de Google me rappelle que si Bataille ne voulait plus du projet, cela partait chez lui d’une volonté d’en finir avec le langage (dans lequel il semblait pourtant bien installé, un poisson dans l’eau) et celle d’aller vers d’autres formes de communication, directes, non médiées.
décidément quelque chose qui continue de me diviser. même si je ne pense plus qu’on puisse quitter le langage. au moins cesser d’en vouloir comme seul habitat et inclure dans son emploi la conscience de ce qui ne lui obéit pas et qui existe. vivre dans des mondes déchirés. au cœur de la fêlure de ces mondes qui s’engendrent et s’ignorent. (car le réel auquel Bataille voudrait atteindre de façon non-médiée est encore un réel né de la rencontre avec le langage, que le langage n’est pas seul à atteindre, n’atteint pas seul, ce à quoi il faut faire place dans l’usage du langage, dans le discours courant.)
« D’une façon analogue, cette quête vise à mettre en cause la fiction du langage ; fiction qui, incontestablement, constitue le narcotique le plus ancré dans nos existences humaines. Si le langage est à mettre à bas, c’est parce qu’il forme une médiation entre moi et le monde, et donc un obstacle à leur rencontre. En effet, toute mise en mot modifie, transforme, et en un certain sens trahit l’expérience. Parce que le langage a pour fonction de catégoriser et d’établir des distinctions à ce qui n’en a pas nécessairement dans l’expérience, ou, au contraire, à créer des liens là où ils sont inexistants 9 , ils ne peuvent que gâcher l’expérience en question. En outre, et parce que l’on échoue, en tant qu’humains, à sortir de la mise en mots, Bataille définit le langage comme une cage dont les barreaux nous sépareraient du monde. C’est dans ce contexte qu’il exprime, et ce via une écriture poétique qui se veut ― tragiquement ― une révolte du langage au sein du langage, la souffrance de sa captivité dans les bornes langagières et la nécessité absolue d’en sortir :
« je ne peux plus souffrir / ma prison. / Je dis ceci / amèrement: / mots qui m’étouffent, / laissez-moi, / lâchez-moi, / j’ai soif / d’autre chose (…) / Je hais cette vie d’instrument / je cherche une fêlure, / ma fêlure, / pour être brisé »10.
Pour parvenir à sortir de cette cage, il s’agit tout d’abord de convenir, comme Bataille, que le «moi» n’est qu’une fiction langagière, qu’une belle coquille vide. Puis, une fois comprise et acceptée la non existence du «moi», l’exigence du non savoir nous exhorte à briser l’illusion de l’ego pour s’ouvrir absolument au monde qui nous entoure. Or, cette ouverture, que Bataille nomme tour à tour fêlure, déchirure, brisure, ne peut être catalysée que par l’atteinte de la nudité totale. «
8 Autrement dit au jugement que l’existence n’a aucun sens : que le monde tel qu’il est ne devrait pas être et que le monde tel qu’il devrait être ne peut exister.
9 Voir F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Livre de Poche, 1972 : « Les mots et les sons ne sont-ils pas des arcs-en-ciel et des ponts illusoires entre ce qui est éternellement séparé ? ».
10 L’expérience intérieure, p. 71.