magie de l’heure. magie du jardin de donn. je sors de la maison. je fais quelques pas. je m’arrête, face à ça. je ne vais pas beaucoup plus loin. je regarde.
Mois : novembre 2016
Re: discipline « Reply #25
ces histoires de projet me rappellent Bataille. je l’avais découvert vers l’âge de 22 ans. lui qui m’avait permis de me départir, dépêtrer, m’éloigner du projet la tête haute.
là, une consultation rapide de Google me rappelle que si Bataille ne voulait plus du projet, cela partait chez lui d’une volonté d’en finir avec le langage (dans lequel il semblait pourtant bien installé, un poisson dans l’eau) et celle d’aller vers d’autres formes de communication, directes, non médiées.
décidément quelque chose qui continue de me diviser. même si je ne pense plus qu’on puisse quitter le langage. au moins cesser d’en vouloir comme seul habitat et inclure dans son emploi la conscience de ce qui ne lui obéit pas et qui existe. vivre dans des mondes déchirés. au cœur de la fêlure de ces mondes qui s’engendrent et s’ignorent. (car le réel auquel Bataille voudrait atteindre de façon non-médiée est encore un réel né de la rencontre avec le langage, que le langage n’est pas seul à atteindre, n’atteint pas seul, ce à quoi il faut faire place dans l’usage du langage, dans le discours courant.)
« D’une façon analogue, cette quête vise à mettre en cause la fiction du langage ; fiction qui, incontestablement, constitue le narcotique le plus ancré dans nos existences humaines. Si le langage est à mettre à bas, c’est parce qu’il forme une médiation entre moi et le monde, et donc un obstacle à leur rencontre. En effet, toute mise en mot modifie, transforme, et en un certain sens trahit l’expérience. Parce que le langage a pour fonction de catégoriser et d’établir des distinctions à ce qui n’en a pas nécessairement dans l’expérience, ou, au contraire, à créer des liens là où ils sont inexistants 9 , ils ne peuvent que gâcher l’expérience en question. En outre, et parce que l’on échoue, en tant qu’humains, à sortir de la mise en mots, Bataille définit le langage comme une cage dont les barreaux nous sépareraient du monde. C’est dans ce contexte qu’il exprime, et ce via une écriture poétique qui se veut ― tragiquement ― une révolte du langage au sein du langage, la souffrance de sa captivité dans les bornes langagières et la nécessité absolue d’en sortir :
« je ne peux plus souffrir / ma prison. / Je dis ceci / amèrement: / mots qui m’étouffent, / laissez-moi, / lâchez-moi, / j’ai soif / d’autre chose (…) / Je hais cette vie d’instrument / je cherche une fêlure, / ma fêlure, / pour être brisé »10.
Pour parvenir à sortir de cette cage, il s’agit tout d’abord de convenir, comme Bataille, que le «moi» n’est qu’une fiction langagière, qu’une belle coquille vide. Puis, une fois comprise et acceptée la non existence du «moi», l’exigence du non savoir nous exhorte à briser l’illusion de l’ego pour s’ouvrir absolument au monde qui nous entoure. Or, cette ouverture, que Bataille nomme tour à tour fêlure, déchirure, brisure, ne peut être catalysée que par l’atteinte de la nudité totale. «
8 Autrement dit au jugement que l’existence n’a aucun sens : que le monde tel qu’il est ne devrait pas être et que le monde tel qu’il devrait être ne peut exister.
9 Voir F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Livre de Poche, 1972 : « Les mots et les sons ne sont-ils pas des arcs-en-ciel et des ponts illusoires entre ce qui est éternellement séparé ? ».
10 L’expérience intérieure, p. 71.
oups,
Lapsus réjouissant,
J’avais reçu un coup de fil de L’artisan du regard pour m’annoncer que mes lunettes étaient prêtes. le regard, le regard, c’est bien lui la cause de mon infini retard. (cette vie que je lui ai sacrifiée, à mon image.
relectures
19.XI.16
7h30
Réveillée, levée, bu grand verre d’eau tiède, ne sais pas bien quoi faire, assise au salon dans le noir, ne peut pas faire de bruit, tout le monde dort.
De fil en aiguille, dans mes pérégrinations, tombée sur de vieux rêves de mai 2006 que j’ai tenté de retravailler, tant leurs analyses sont mal foutues. Leur analyse et leur présentation. Je sais qu’à l’époque je n’aurais pas pu faire mieux. Je ne pense d’ailleurs pas pourvoir faire beaucoup mieux aujourd’hui. Il me semble toujours, il finit toujours pas me sembler que je n’arrive pas à saisir de conclusion. J’analyse, je développe. A chaque fois, il me semble qu’un « donc » se dessine, se profile qui reste fantomatique, insaisissable, décourageant. Là, je ne sais pas si je dois tenter de les reprendre à nouveau, ou laisser tomber.
Je cherche une voie à mon assiduité. Je n’en n’ai plus aucune, pas la moindre. Pour ça que je rêve de discipline.
« D’autre part, si vous être trop spacieux sans focalisation suffisante, vous n’êtes pas centré et vous pouvez facilement vous évader et faire du tort à vous-même et aux autres. Être spacieux sans focalisation crée un esprit qui saute continuellement d’une chose à l’autre – une forme de déficit d’attention – et ne ralentit pas suffisamment pour observer réellement ce qui se passe et comment accomplir ce qui doit vraiment être fait. »
Hier, j’ai finalement rouvert dans Word, un autre texte, plus récent, que je ne suis pas encore arrivée à finir. Un texte en réaction à un propos d’Élise sur Stromboli, à propos du travail et de la pente, ce que j’appelle là » la pente », reprenant un terme à lui dans son bouquin.
Possiblement, je n’ose plus atteler ma pensée à quoi que ce soit. Peur de ses emballements aussi bien que de ses blocages. Je me vide.
S’agissant de ma mémoire. C’est parce que je la perds que j’ai arrêté les antidépresseurs, mais je n’ai plus du tout confiance en elle. Dès qu’il y a quelque chose qu’il faudrait retenir, je panique, je cherche de quoi noter. Dans ce que je relisais hier sur le blog, j’ai trouvé des traces déjà de ces perturbations. En plusieurs endroits, je cherche le nom de quelqu’un, qui ne me revient d’abord pas, puis qui finit par me revenir. De ces hésitations, de ces trous, j’ai toujours voulu laisser la trace. Je n’aurais pas pu renoncer à cela, renoncer à faire état de mon « manque à savoir ». J’aurais trouvé cela malhonnête et surtout, il m’aurait semblé y perdre quelque chose, y perdre ce qui m’importe : parler depuis l’absence de maîtrise, faire état des trous, des manques, et que ça parle depuis là. L’oubli cependant m’inquiète. J’ai tenté de le traiter en symptôme. Au départ, il ne s’agissait que de celui des noms propres (que j’ai beaucoup analysé, m’appuyant du texte de Freud sur l’oubli des noms propres). Mais il s’est ensuite étendu bien au-delà. Et je ne cesse de rebuter sur cette perte des mots, sans que je sache quand ça a commencé ; si ça a commencé un jour, oui, il me semble, que ça n’a pas été comme ça de toute éternité. Il s’agit bien d’une perte. Qu’on attribuera pour partie à l’âge ( ou à une tu-meurs au cerveau) mais que j’impute également à un manque d’exercice, à force de solitude. Ça a toujours fait partie des raisons pour lesquelles j’ai voulu écrire, continuer d’écrire dans le blog : m’exercer, continuer de m’exercer au maniement du langage. Quand j’y renonce, c’est que cela me paraît vain. Et que je m’effraie de cette aspiration par le désir d’écrire, qui tourne à l’obsession, que je considère malade. Et que je veux retourner, aller plus loin encore, dans l’oubli du langage. D’où mes longs silences, et sur le blog. Mon intérêt pour le zen, le taï chi, la méditation.
// Et puis, c’est toujours quand je suis sur le point d’écrire quelque chose que j’arrête. D’écrire quelque chose d’autre, et que je n’y arrive pas. Que j’arrête. Jusqu’à l’oubli. Pour le redécouvrir, alors, plus tard, neuf et légèrement modifié. //
L’interdit
[quelqu’un à qui écrire]
Finalement, je constate que je cherche bien moins quelqu’un à qui parler que quelqu’un à qui écrire.
Cependant qu’il est vrai que je ne supporte actuellement ni parole ni écrit qui me soit adressé ou dont je sois l’auteur. Tant l’une que l’autre me jette sur le qui-vive, au bord du gouffre.
N dit : Se désidentifier de la pensée. De la parole, de l’écrit. Les considérer comme des composantes parmi d’autres, de soi, du monde.
Se désintéresser du doute. N’être sûre que de ce que le corps ressent.
J’écris pour me délivrer de la pensée. Quand elle est ce qui s’en rapproche le plus. L’écriture de la pensée. La parole, la voix, elles, viendraient me trouer la peau. Penser caresse de l’intérieur.
note 88
La supplication intérieure est la seule raisonnable, car elle évite de raidir les muscles
« Essayer de remédier aux fautes par l’attention et non par la volonté.
[…]
La supplication intérieure est la seule raisonnable, car elle évite de raidir les muscles qui n’ont rien à voir dans l’affaire. Quoi de plus sot que de raidir les muscles et serrer les mâchoires à propos de vertu, ou de poésie ou de solution d’un problème ? L’attention est tout autre chose. »Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, Paris, Plon, 1947, p. 133.
Se redresser, c’est être intéressé par ce qui se passe.
Ce qui est sûr c’est que hors-corps le langage est mort.
Y avait ça qui traînait dans mes tiroirs. Qu’on n’aille pas croire que j’y parle à un(e) autre que moi. J’essaie de mettre au clair des trucs et ça ne marche pas comme je veux. Surtout, je ne pense pas que j’arrive à rendre ça potable à quiconque ne s’intéresse pas un tant soit peu à la psychanalyse. Ça m’a travaillée, fatiguée, inquiétée, excitée, tenue éveillée, jusqu’à trop. Jusqu’à ce que ça devienne trop et que je doive l’oublier, oublier que je ne suis pas arrivée à écrire ce que je voulais, qui est resté je ne sais où, quelles limbes. Là, j’ai pris suffisamment de distance que pour pouvoir le publier. C’est-à-dire que je l’ai oublié. Dépitée seulement de n’y être, une fois de plus, pas arrivée, et que ça doive me rester (encore) en travers de la gorge.
Le travail c’est la plus belle chose qu’on puisse inventer.
Je pense que le Surmoi du vingtième si§cle (on fait tous partie ici de la même génération) est en train d’exploser pour notre bonheur à tous.
(Arbeit macht frei)
Kidding!
je sais très bien que tu n’en fous pas une)
Kidding, Kidding !
C’est compliqué de parler du travail (surtout à toi, tout embué d’idéal).
Mais est-ce qu’il n’y avait pas quelque chose dans Pommereulle, dans ton Pommereulle, qui préconisait de se laisser aller à sa pente, de se donner les moyens de se laisser aller à sa pente. Et que ça puisse trouver sa place dans le monde…
« Au fond il est plus difficile de se laisser aller à sa pente que l’inverse.«
J’aimais bien ça.
Je dis ça, parce que le travail et la pente, ça ne se recouvre pas nécessairement. Cela nécessite un ajustement… que tu écrivais :
« Cela suppose une traversée de l’existence qui retourne les conditionnements et les envoûtements, pour abolir la séparation avec soi-même.«
Cette séparation d’avec soi-même, qu’il s’agit de rejoindre, c’est la séparation d’avec le monde et c’est la séparation d’avec le travail.
Tout ça pour dire que je préfère la pente au travail. Même si c’est encore tout un travail que de se faire à sa pente. Mais un travail particulier. En finesse et en délicatesse. Afin que la pente restât pente, échappe à la conversion (en grand’route sur morne plaine) que le travail tentera de lui imposer afin de la rendre présentable. Un travail donc qui ne s’appliquât jamais qu’à ouvrir à la pente quelques menus détours, des sinuosités, afin qu’elle fût moins courte, moins casse gueule, mais restât pente toujours, c’est-à-dire liée à ce qui nous dépasse.
Si le surmoi, Travaille! (=Jouis!) fonctionne aussi bien, c’est qu’il y a une indifférence de la pulsion (capable de se satisfaire de n’importe quel objet). Il faut donc pouvoir la distinguer de la pente, laquelle se soutient de la marque, marque qu’elle imprime à la pulsion. Cette marque de la séparation d’avec soi dont il était question plus haut. Non-indifférente pente donc. Or la marque, la marque fondamentale d’un sujet, c’est bien ce qui au monde se partage le moins, ce qu’il y a de plus secret. Au monde de moins communément partagé, reluisant, accepté.
On dit que le désir est le désir de l’Autre. La jouissance, elle, fondamentalement n’est jamais que celle de l’Un, de l’Un-tout-seul. Toujours peu ou prou liée à la honte. Si aujourd’hui on s’attache tant à se montrer jouissant (« Regardez-moi jouir », c’est qu’il s’agit de se montrer jouissant de la bonne manière : c’est-à-dire : médiatisable. Or tout ce qui passe par les médias, y passe dépourvu, lavé de la marque. La jouissance médiatisée : celle qui essaie de se faire passer pour non-coupable , conforme.
Pour ça que la plupart préfèrent s’en tenir à la marque commune : comme sujet (du verbe), je suis l’objet d’une jouissance (qui me dépasse et dont je ne veux rien savoir).
Chacun préférera se vivre comme sujet du langage, se placer, se garder sous sa coupe plutôt que d’assumer sa jouissance (hors langage).
autrement dit
« L’horreur de dé-penser »,
autre façon de parler de la radinerie.
(s’accrocher à, ne surtout pas lâcher sa pensée)