L’objet voix, extrait (Rose-Paule Vinciguerra)

Publié le Catégorisé comme brouillonne de vie, psychanalyse Étiqueté , , ,
Comment enfin dans l’analyse, le sujet est-il confronté à la voix ? C’est sous la forme d’une voix venant de l’Autre de la façon la plus radicale, sous la forme d’un « Que veux-tu ? » qu’il la rencontre, en fin d’analyse notamment. À partir de là, pour le sujet, pourra s’opérer un retournement sur lui-même faisant apparaître le point où sa jouissance la plus têtue insiste. Ce Che vuoi ?, dit Lacan, est l’ouvre-bouteille d’un flacon dont le contenu est à découvrir [46]. Dans l’analyse, ce Che vuoi ? va confronter le sujet à la béance du désir de l’Autre concernant son être, à celle de son propre désir en tant qu’Autre. Il renvoie au sujet sa propre demande sur son désir. Comme le héros de Cazotte [47], habité par une volonté de savoir, le sujet en analyse voit s’ouvrir la fenêtre de son fantasme et un sonore Che Vuoi ? le renvoie à ses rapports éprouvants et dangereux avec la jouissance.
 
Il faudra donc, en fin d’analyse, que le sujet confronté à cette question, reconnaisse le manque de garantie de l’Autre, pour que l’objet cause du désir puisse surgir. Ce manque de l’Autre et donc du sujet va s’incarner dans le moins phi de la castration et il devient alors possible au sujet de se repérer avec l’objet a comme perdu mais valant comme symbole du manque.
 
Concernant la voix, objet séparé du corps, c’est comme franchissement du vide de l’Autre qu’elle s’élève en fin d’analyse, dans ce qui s’éprouve de risque vivant. Comme Orphée revenant des Enfers, la voix, s’arrachant sur ce vide de l’Autre, franchit l’Achéron.
 
Ajoutons une remarque latérale : lors de son élaboration ultérieure, dans « L’étourdit » notamment [48], Lacan a avancé qu’en fin d’analyse, c’est surtout à la voix du surmoi en tant que féminin, à une jouissance au-delà de l’Œdipe que le sujet a à s’affronter. Le dire de la sphinge dans la prosopopée que Lacan invente est celui d’un surmoi que Lacan nomme « surmoitié ». En disant « Tu m’as satisfaite » [49], la sphinge invite l’humain à la rejoindre… par la castration réelle ou la mort [50]. C’est, en un sens, à cette jouissance non symbolisée, dont on ne peut rien dire, qu’un sujet est confronté en fin d’analyse.
 
Comment y faire obstacle ? En faisant « se réfuter, s’inconsister, s’indémontrer, s’indécider » ces dits de la sphinge, dit Lacan. En faisant notamment qu’ils apparaissent inconsistants, c’est-à-dire tels qu’on ne puisse leur répondre par oui ou par non, car l’exigence de consistance consiste à fermer l’inconscient.
 
Ces dits doivent aussi « se compléter ». Il y a là une difficulté. De quoi doivent-ils « se compléter » ? Sans doute d’un signifiant manquant jusqu’alors et qui soit susceptible de les déplacer ! C’est la tâche de l’interprétation de fournir ce signifiant qui fera « se compléter » les dits du surmoi. Et cela, précise Lacan, « à partir de ce qui ex-siste des voies de son dire ». Au-delà de ses dits, en effet, et à travers la voix du surmoi, le dire de la sphinge est « satisfais-moi ». Il va donc falloir savoir déchiffrer et deviner d’où s’origine ce dire du « satisfais-moi » enjoignant au sujet de rejoindre cette jouissance illimitée. À cette Autre jouissance, on ne peut que répondre : « il n’y a pas d’Autre de l’Autre ». Le dernier mot qui conviendrait à l’exigence de cet appel, personne ne peut le donner. Au « Jouis » du surmoi, on ne peut répondre que par « j’ouis ».
 
Ainsi, la fin de l’analyse témoignerait de la façon particulière dont chacun a su « faire taire » la voix inarticulée, ce point de jouissance « inassumable » au cœur de l’énonciation, d’une façon autre que par la voie du fantasme qui croit seulement qu’il s’en échappe.
 
La voix dont parle la psychanalyse n’est donc pas la voix modulée que l’on entend. Elle n’est pas en rapport à la musique mais en rapport à la parole, distincte des sonorités, articulée. Lorsqu’elle résonne dans le vide de l’Autre, c’est celle d’un sujet qui a su faire taire un « Viens » envoûtant et menaçant et prendre appui sur son propre dire en acte pour advenir. Ainsi, la voix peut-elle s’isoler comme « noyau de ce qui, du dire, fait parole » [51].
 
 
[46] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir »,…
[47] Cf., Cazotte, Le diable amoureux, Paris, Gallimard,…
[48] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Le…
[49] Ibid.
[50] Laurent É, « Positions féminines de l’être », cours…
[51] Lacan J., D’un Autre à l’autre, op. cit., p. 351.
 
https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2009-1-page-134.htm
 

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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