Voilà, je retrouve le texte, ce n’est pas l’art qui est comparé à un rendez-vous (soit, « son artefact au second degré »), c’est le readymade :
Traquant dans l’œuvre de Duchamp le rapport de l’objet à l’auteur, on trouve dans la Boîte verte :
Préciser les « Readymades » en projetant pour un moment à venir (tel jour, telle date, telle minute), « d’inscrire un readymade ». Le readymade pourra ensuite être cherché (avec tous délais). L’important alors est donc cet horlogisme, cet instantané, comme un discours prononcé à l’occasion de n’importe quoi mais à telle heure. C’est une sorte de rendez-vous. Inscrire naturellement cette date, heure, minute, sur le readymade comme renseignements. Aussi le côté exemplaire du ready-made.
Marcel Duchamp, La Boîte verte (La Mariée mise à nu par ses célibataires, même) 1934
Exemplaire en effet : le readymade est une sorte de rendez-vous. L’œuvre d’art, ou son artefact au second degré, naît de la rencontre d’un objet et d’un auteur.
[…]
L’auteur aussi est un donné. Le texte ne lui suppose aucun talent, aucune intériorité, aucune motivation. Il n’a pas de vérité à dire, seulement un discours prononcé à l’occasion de n’importe quoi mais à telle heure. Il est sans intention autre que celle d’inscrire un readymade, d’être à l’heure à son rendez-vous. Étant donné un objet et un auteur, il suffit donc qu’ils se rencontrent pour que, déjà, l’énonciation artistique, que Duchamp appelle « l’inscription du readymade », soit possible. Duchamp est on ne peut plus explicite. Il déclare que le readymade prend ses fonctions suite à une sorte de rendez-vous et termine en soulignant le côté exemplaire du readymade. Le doigt est mis sur le paradigme.
Thierry de Duve, Résonances du readymade, Édition Jacqueline Chambon, pp. 20, 21
Dans le monde ancien et tout contracté des « localités », les choses, les discours, les œuvres avaient à croître et à devenir. Ils avaient à se propager de bouche en bouche ou de main en main, et ils se propageaient en étoile, au petit bonheur, se différenciant et se symbolisant toujours davantage, et formant des mondes culturels distincts les uns des autres, avec leur légendes, leurs mythes, leurs rites propres. Dans le monde contemporain de la mondialité, rien ne se propage plus : tout est déjà immédiatement propagé, déjà universel, déjà connu de tous. Un récit, soumis au régime du « mondial » ne se développe pas, ne se transmet pas : il atteint immédiatement sa forme définitive. Aussi n’est-il jamais traité comme discours. Il ne se donne pas comme texte à déchiffrer, mais comme « reportage », bloc de réel à l’état pur. L’événement est trop vite su, figé mondialement dans son « quoi » sans devenir, pour faire germer un récit.1
Il fut un temps où j’essayais de penser ce qui est décrit là en terme de « translation »2 . Sur les réseaux sociaux, les choses ne circulent plus que reproduites mécaniquement, à l’identique et par écrit. Par écrit, sans qu’aucune main, aucun doigt n’en détaille plus les lettres, c’est en bloc compact qu’elles sont sélectionnées, copiées, collées. « Bloc de réel à l’état pur » en effet, dont seul compte le chiffre de jouissance : pur Un ((du Y a d’l’Un lacanien)) hors sens, ne valant que par sa frappe, like ou Retweet, racine de l’addiction. On est dans le « One to One », le « want to want » de la pulsion acéphale, littéralement sans queue ni tête. (One to one qui est One to Self que la boîte d’écho de l’internet mue One to Many.)
Notes:
Cédric Lagandré, Le monde des asphodèles, « Le protocole du sens » , p. 81, 82. [↩]
Définition translation
Action de faire passer une chose d’un lieu dans un autre.
Déplacement d’un corps dont tous les points décrivent des trajectoires égales et parallèles entre elles. Action de transférer une propriété d’une personne à une autre. Biologie : Translation de coupure [↩]