[ Lettre non – envoyée, brouillon]
Cher1,
L’idée m’effraie un peu d’avoir à interroger le pourquoi de ce « cadeau » que je vous ferais.2
« Cadeau » – ce mot venu à ma bouche quand je vous en ai parlé. « Est-ce que vous accepteriez ce cadeau que je vous ferais ? » vous demandai-je, tournant ma tête vers vous.
Ce mot revenu quand je vous parle de cette pensée venue au réveil, « Pourquoi l’inconscient me ferait-il cadeau de ce rêve » où c’est quelque chose de la nature de l’inconscient que j’espère saisir, attraper. Comme j’aperçois qu’il y s’agit peut-être d’une mise en histoire du parcours de mon entrée et d’une sortie de l’analyse.
Ce que vous me proposez de faire, d’analyser le pourquoi de ce don avant que de pouvoir l’accepter m’effraie, me déplaît un peu, comme si les raisons ne pouvaient qu’en être mauvaises.
Cadeau – eh quoi, vous acheter ? Eh. Détourner de moi votre ire, prévenir.
Cadeau – ce rêve, ce qu’il me dit encore : on n’habite pas dans l’inconscient. Cela n’est pas une place, où rester. On n’y est pas chez soi.
Cadeau – par ce geste aussi que prend de la valeur cela qui n’en n’avait plus. Comme dans ce rêve encore, dont je vous parlais hier, celui du chat devenu les chats, où je ne retrouve plus le petit, le premier, le primordial, ce dit « bordel levé par l’analyse », toutes choses n’étant plus égales, ni non plus un tableau de mon père. Puisque aussi vous aviez par le passé déjà marqué votre intérêt pour l’œuvre de mon père. Cet intérêt, le supporter, le reconnaître, en tenir compte. Mais pas seulement le vôtre, n’est-ce pas ?
[ le chat devenu les chats = « ce bordel levé par l’analyse » = les objets de + en + nombreux qui envahissent le château ]
l’échange.
L’analyse comme exercice de par-odd-ontologie. Odd ontologie. Ontologie étrange. Ontologie de l’étrange. Mais vous êtes bien parodontologue ? paroddontologiste ? » L’homme à qui je m’adresse me renvoie une sorte de non. Je crois qu’’il me ment. J’essaie qu’il me prenne par l’un des trous de son agenda, mais il n’en a pas. Je reste, je devrais partir, chercher ailleurs, mais je reste. « Ma couronne a sauté, je suis en danger mortel, il ne me prend pas au sérieux. »
Certainement cela me fait penser à mon arrivée à Paris, aux psychanalystes que j’ai rencontrés ici, quand l’analyse avec le premier, qui dura 10 ans, se termina brutalement.
Je reste dans ce qui devient un château qui n’est certainement pas celui de mon père, une famille où je ne suis pas chez moi. Dont le rang n’est pas le mien, une famille noble – tolérante mais un peu hautaine.
// Ce professeur de mon père qui a l’école disait à ces élèves : « ty-pes de baaasse classe, ty-pes de baaasse ex-traction… » les injuriait. Mon père qui imitait sa voix, exactement, la façon de détacher les voyelles, l’appel du gouffre dans la « baaaasse classe ». Le mépris. Mon père n’a jamais pris cette injure pour lui. //
Multiplication des objets, déchainement des signifiants. Je me suis un peu (pléonasme) demandée ce qui avait pu me « faire devenir » obsessionnelle. A quel moment. JPD avait dit : « obsession de fin d’analyse ».
Au château, cette nuit-là, pendant toute la nuit, c’est la fête. Une grande fête. Je deviens de plus en plus silencieuse. En retrait. J’arrive de moins en moins à être là. Réactions fortement émoussées. Réactivité quasi nulle. Ça grouille. Tandis que je cherche mes affaires, pour pouvoir partir.
Fin de nuit, Frédéric vient me chercher. Château a été vidé de tous ses objets // ce vidage exercé par l’analyse. Reviennent rangés dans des wagons, vers le château, que je vais quitter. wagons, wagons. des petits travailleurs. wagons.wagons. camp.
Fin du rêve, dernière image, avant de partir. Je m’adresse au propriétaire du château, je sais que c’est un peu bebête de dire ça, mais je surmonte mon sentiment d’infériorité : « Mais regardez-ça, comme c’est beau, comme c’est beau », je lui désigne les ouvertures dans le mur, les fenêtres. « Regardez, on dirait autant de paysages qu’il y a de cadres. Est-ce que ce n’est pas magnifique ?» Ce sont de très beaux paysages, très larges, remplis chacun d’une lumière diffuse mais particulière. Beaucoup plus verts que les paysages auxquels ils s’apparentent le plus : ces paysages qui font le fond de nombre de peintures de la renaissance, venus ici au premier plan, formant une image à la fois champêtre et contemporaine. Il s’agit de cela qu’un artiste saisirait, aurait saisi.3 Ici pris dans les murs de la « plus haute tour ». L’inconscient-artiste…
Notes:
- = L’analyste [↩]
- Cette toile de mon père qu’il connaît et apprécie et dont il m’avait semblé clair qu’il « fallait » que je la lui offre au sortir du rêve «château». [↩]
- Cela que je m’étais dit la veille, face à une photo, le monde est beau, l’art commencerait au moment où je le saisis, où j’en arrête un instant, j’en prends le temps, et redonne à voir. N’importe qui peut le faire, n’importe qui n’en prend pas le temps, n’importe qui n’est pas artiste. (mais le désir de… re-production est (infini).) [↩]